« J’arrivai avec un bon quart d’heure d’avance sur l’heure fixée, mais lui, contrairement à son habitude, était déjà là. Il avait troqué ses baskets contre une paire de godillots et portait un large pantalon de toile rigide truffé de poches vides et tenu par une épaisse ceinture, mais arborait comme toujours un sweat à capuche. Il était assis sur le petit muret près de l’escalier de l’entrée, apparemment perdu dans ses pensées. Il ne m’entendit pas approcher..
« Est-ce que je vous plais ainsi ? », fis-je. « Houla, mais c’est un pousse-au-crime ! », répondit-il, ouvrant de grands yeux. Je dus rougir, ce qui le fit rire, et j’en fis de même. Mais bien vite il s’arrêta, et, de l’air le plus sérieux, mit sa main sur ma joue en me fixant droit dans les yeux. Je poussai un petit cri. « Vous êtes sur le point de faire une grosse bêtise, jolie fée. Est-ce que c’est vraiment ce que vous désirez ? Il n’est pas trop tard.. » Je l’interrompis, recouvrant sa main de la mienne : « C’est exactement ce que je veux, et je ne conçois pas une seconde que ce puisse être une bêtise ». Il soupira comme il l’avait fait l’autre soir.
« Où va-t-on ? », demandai-je, histoire de mettre un terme à cet instant trop lourd pour moi. « Décidez, jolie fée. Moi ça me conviendra ». Je le pris par la main, il se laissa faire, et je l’entraînai. « Où allons-nous ? », demanda-t-il. « Vous verrez bien, puisque vous m’avez laissée décider », et je sortis la langue comme une gamine, réussissant à lui arracher un sourire.
Nous arrivâmes devant un restaurant italien. « Vous n’avez rien contre ? », m’inquiétai-je. « ..un tel cliché ? Non non, ça me va ». Ben oui, ça faisait cliché, moi je voulais juste que tout fût parfait, raison pour laquelle j’avais opté pour cette valeur sûre. Il m’ouvrit la porte, puis nous fûmes pris en charge par un gars tout en blanc, toque sur la tête, qui tentait d’imiter l’accent italien. Nous en rigolâmes doucement, une fois installés dans un coin de la salle, « lui » sur la banquette, moi sur la chaise. Je préférais.
Le gars revint avec les menus, et tout en nous les tendant se lança de son accent simili italien dans la description de la vie d’une pasta, de sa naissance à nos assiettes. Nous le remerciâmes, prétextant de souhaiter réfléchir, en fait nous voulions l’éloigner, le fou-rire nous guettant. Brave gars, il aura eu le mérite de dérider mon chevalier servant.
J’émis l’idée de me commander une salade. « Vous n’êtes pas sérieuse, jolie fée. Tant qu’à être dans un restaurant italien, pourquoi ne pas choisir plutôt un steak avec des frites ? », reçus-je d’un ton des plus solennels. Je ne pus plus retenir mon fou-rire, et il ne tarda pas à me suivre.
Nous optâmes pour une immense pizza aux multiples garnitures, seule solution face à notre indécision commune. Quand le gars nous l’amena et que nous en vîmes la taille, notre fou-rire reprit de plus belle : elle m’aurait facilement tenu la semaine !
« Il » me laissa choisir les garnitures que je souhaitais, aspergea d’huile piquante les autres parts prédécoupées, et attendit sagement de me voir commencer à picorer pour se jeter sur la première de ses portions. Je toussai. « Ca ne va pas ? ». « C’est l’huile, elle a dû se glisser sous la pâte ». « Vous voulez que je vous en commande une autre ? ». « Nan nan, ça va aller, il n’y en a pas partout non plus. C’est juste que j’ai la bouche en feu.. » Je réalisai que mes propos pouvaient être réinterprétés et piquai un fard. Il sourit et s’enfourna une autre bouchée.
L’huile aidant probablement, je quittai un escarpin pour lui caresser le mollet à travers son pantalon de toile. Il me regarda, je souris, il me laissa faire, engloutissant sans faillir sa moitié de pizza, alors qu’une demi-part suffit à me caler.
J’avalai le restant de mon verre de ce délicieux vin, réellement italien lui, et annonçai : « Je vais aux toilettes me refaire une beauté. Accompagnez-moi ». Sans la moindre expression de surprise sur son visage, il se leva, recula galamment ma chaise, et me suivit sans broncher jusque dans les toilettes ..des filles. Sur le moment je n’y prêtai pas attention, et à peine la porte refermée je le plaquai contre le mur, saisissant son visage, et lui roulai la pelle qui me démangeait depuis des jours. Il ne me repoussa pas, au contraire il accompagna mes coups de langue, de longues minutes durant.
Je finis par m’apercevoir de l’endroit, et lui proposai de s’éclipser en douce, avant qu’une femme entrât et vît sa présence. Il sourit : « Pourquoi sortirais-je ? Alors que pour la première fois depuis que nous nous connaissons je suis à la place que la nature m’a assignée ? » Heu.. Comme l’impression de ne pas avoir compris, là.. Je plongeai mon regard dans le sien, à la recherche d’une quelconque piste, d’une quelconque aspérité à laquelle me raccrocher, hélas il me fut vide, vide de sens. « Il » reprit : « J’ai pourtant essayé de vous mettre en garde, vous n’en avez pas tenu compte. Moi aussi je sentais bien naître des sentiments à votre égard, mais j’essayais de les refouler. Parce que vous n’êtes pas prête, parce que je ne vous ai jamais sentie prête. Vous éprouvez des choses pour la personne que je ne suis pas. Je ne voulais pas que nous en arrivions là, je vous avais dit que c’était une grosse bêtise. »
Que me chantait-il, là ? De quelle bêtise parlait-il ? Si, j’étais prête. Prête à me donner à lui, prête à me donner pour la première fois de ma vie. Que n’était-il donc pas, je ne comprenais rien, si ce n’était qu’il essayait de me repousser sans que j’en saisisse la raison, lui qui s’était pourtant laissé rouler une pelle à l’instant.. »
Le Basket [Ch.05]


Mylène (MyLzz59)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire