Sable [Ch.09]

« Nous nous plongeons dans le menu. Ce sera pizzas. Poulet effilé, poivrons, sauce sucrée. Elle commande une chose qui étonne le serveur venu prendre notre commande, merguez et mozzarelle. Puis un pétillant frais, que nous entamons en attendant nos plats. Le nez dans son verre, elle me regarde fixement. Je pense qu'elle lit mon âme. Je suis troublée. Je tente de m'accrocher à l'analyse de l'étiquette du vin, dont je fais assez rapidement le tour. Partout autour les gens discutent dans un joyeux brouhaha. Des bruits de couverts, des odeurs typiques. Personne ne semble prêter attention à nous.

Nos pizzas arrivent enfin, portées telles des plateaux par notre serveur, qui me paraît faire preuve à notre égard d'un zèle tout particulier. Il sert ma fée en premier, puis dépose mon plat devant moi, en nous souhaitant une …bonne soirée ! Il est évident qu'il a compris. Qu'il m'a découverte. Mais comment ? Je réalise au moment où il repart en cuisine, que mon dar est manifestement hors d'usage: à sa ceinture pend un trousseau de clés dont le porte-clés représente un double mars. "Nous avons bien fait de choisir ce restaurant. Le serveur est vraiment attentionné", me sort ma fée. J'ai dû bredouiller une quelconque réponse de substitution, ne me voyant nullement lui en fournir la vraie raison. J'arrose ma pizza d'huile piquante. Elle m'explique qu'elle ne le pourrait pas, que les merguez se suffisent. Nous nous souhaitons bon appétit, et entamons nos mets, particulièrement réussis. Le serveur aurait-il passé une consigne en cuisine ? "Elle est délicieuse. Et la vôtre ?", me demande-t-elle. Ma grogne à l'encontre de mon dar s'atténue devant l'idée de ce serveur complice. Celui-ci passera plusieurs fois s'enquérir du bon déroulement de notre repas, chose que je ne le vois pas faire auprès des autres tablées. Ajoutez à cela ma fée qui me lance d'irrésistibles regards auxquels je réponds en souriant.

Nous parlons de tout et de rien. De rien d'essentiel, principalement. De vacances, du temps. Elle me redit être heureuse de m'avoir rencontrée. Je m'acharne sur ma pizza, qui fait les frais de mon impossibilité d'ouvrir mon cœur. L'avenir, notre avenir, est une énorme inconnue que je n'entrevois guère heureuse, prisonnière de mon mensonge par omission. Je profite du présent tant qu'il existe, au pire il me restera des souvenirs. Ma fée a perçu mes doutes: "Ca ne va pas ? Vous semblez songeuse… Ai-je dit ou fait…?" Je l'interromps. Elle a ce talent de m'aider à me recentrer sur ce qui est important. Elle a avancé sa main dans le but d'attirer mon attention, et je l'ai machinalement saisie. Elle me sourit. Surprise de mon geste, j'allais enlever ma main, elle m'arrête. "Nous avons bien quelques instants, elles ne vont pas refroidir à une telle vitesse. Et quand bien même…" J'acquiesce, et reste quelques instants. J'ai chaud, et ce n'est pas l'huile.

Je viens à bout de ma pizza, et finis volontiers la sienne, qu'elle m'offre, incapable de la terminer. Finalement, l'association merguez-mozzarelle est plutôt sympa en bouche… Le serveur qui nous a laissées à notre intimité ressurgit au bon moment, et en récupérant nos assiettes nous propose les desserts. Nous nous apprêtons à refuser poliment, ma fée ayant déjà abandonné sa part de pizza, mais il insiste pour nous les offrir. Nous serions goujates de décliner. Devant notre indécision, il nous suggère de nous en remettre à lui. Nous le laissons organiser notre rendez-vous. Il s'éclipse, content de lui. Je regarde son porte-clés durant son trajet, l'esprit un peu vide. Ma fée, elle, est amusée de la situation. Le serveur revient et nous amène une salade de fruits en dés, dans une coupelle en biscuit de forme allongée, nappée de chocolat liquide et de chantilly. Deux cuillères, deux parts, mais une seule coupelle. Au centre de la table. Nous nous regardons. Il nous croit ensemble, le doute n'est plus permis. Nous nous rapprochons au maximum, nos jambes s'entremêlent. Cette salade est délicieusement rafraîchissante, et j'en ai besoin en cet instant.

Non, je n'y crois pas ! Cerise sur le gâteau, il a disposé malicieusement une paire de cerises attachées ensemble. Pourvu que ma fée n'ait… Ben si. Elle s'en saisit, et en riant me propose: "Celle qui conserve la tige fait un vœu". Nous voici quasiment bouche à bouche, chacune une cerise entre les dents. Je tremble réellement. Nous reculons lentement… "Oh, vous avez gagné", dit-elle. Je détache la queue, que je tourne entre mes doigts. "Vous ne devez pas le dire, sinon il ne fonctionnera pas." Je n'ai fait aucun vœu, d'abord c'est infantile de croire à cela, et la seule chose que je désire en ce moment est évidemment irréalisable. "Dîtes-moi seulement si vous y êtes." J'expédie avec un "oui, oui". Vu que ces bêtises ont l'air de lui faire plaisir… "Je souhaite qu'il se réalise." "Quoi ?", dis-je, étonnée. "Votre vœu." Je souris, un peu crispée.

Nous terminons le dessert, je me récupère le biscuit, et je vais régler la note pendant que ma fée file aux toilettes. Le serveur me fait cadeau du supplément mozzarelle également, d'un clin d'œil complice. Il tente de refuser le pourboire, mais j'insiste. Ma fée revient et nous prenons congé en le félicitant de nouveau. Il nous souhaite bonne soirée, et bonne nuit. Coquin, va. »

-MyLzz59-