« L'air du soir nous fait du bien, après un tel repas. Nous nous sommes machinalement repris la main, et déambulons tranquillement sur le trottoir. Nous sommes simplement heureuses. Heureuses de l'instant. La vraie vie, c'est sans doute juste ça. Nous ne sommes pas pressées de rentrer, pas pressées de mettre un terme à ce moment de bonheur. Et une promenade digestive nous apparaît pertinente. Ma fée souhaiterait que nous nous promenions sur la plage. La température est agréable, et la lune qui nous éclaire de ses reflets des rayons solaires nous sert de bienveillante compagne de route.
Nous nous déchaussons en descendant sur le sable. Ma fée pousse de petits soupirs, de petits gémissements, mais je n'y suis pour rien avec mes chaussures dans une main et la sienne dans mon autre. Elle jouit du moment présent. Elle est belle à regarder, à la lumière lunaire. Encore plus belle ainsi qu'en plein jour, je ne le croyais pas possible. Et si elle était en réalité une sélénite ? Je me sens bête d'aller penser un truc pareil. Les sélénites n'existent pas. Pas plus que les fées. Et pourtant elle est là. Je suis bête mais chanceuse, car elle est là. Je suis une gamine, et elle est mon premier flirt. Je suis redevenue une gamine, c'est le sort qu'elle m'a lancé. L'adulte que je suis me rappelle à la réalité: je suis une femme, j'aime les femmes, et je suis là, sur cette plage, à tenir la main d'une superbe femme, avec laquelle j'ai passé un sympathique après-midi, je passe une excellente soirée, mais qui n'est, contrairement à moi, intéressée que par mon amitié. Une femme avec laquelle je n'arrive pas, et ne dois pas envisager d'avenir amoureux. Foutue rabat-joie que l'adulte en moi.
Je réprime une envie de pleurer. J'aurai, je le sais, besoin de toutes mes larmes plus tard. Je sais que je vais la perdre, c'est inéluctable, et que cela me fera autant de mal que l'avoir là me fait de bien. C'est le jeu, je ne peux prétendre en ignorer les règles. Surtout celle-ci, viser une hétérotte c'est accepter de souffrir. Encore une fois elle a lu en moi ce trouble qu'elle ne semble identifier. Elle s'arrête et se tourne vers moi. Me voit-elle rougir, sous cet éclairage, alors qu'elle vient de me surprendre en faute ? Oui en faute, car je devrais être heureuse, et j'en suis bien incapable. Je n'ai aucun avenir avec cette fille, je le savais dès le départ. Je n'ai aucun avenir avec elle, juste un présent. Et quel présent ! En plus, elle me l'offre, ce présent. J'ai des scrupules à prendre ce qu'elle m'offre. Car j'ai peur de ne pouvoir m'en contenter. J'ai peur pour elle, surtout. Je me battrais pour ne pas céder ma place, et pourtant je me sentirais plus à l'aise ailleurs. Ca n'a aucun sens.
Sa main se pose sur ma joue. Je n'ai pas réagi à temps. Je l'ai inquiétée. "Non, ne pleurez pas, ou je vais pleurer aussi. Dîtes-moi ce qui ne va pas, surtout si je suis en faute." Je me plonge dans ses yeux, que cette lumière rend brillants. Elle est effectivement au bord des larmes. J'ai honte de moi. En même temps, je me sens acculée, mon instinct de survie me pousse à trouver une solution pour me dégager de là. Sans lui faire de mal. Je suis en ébullition, cette fois la situation n'est guère facile. Je ne peux lui dire que c'est le vin qui me tourne la tête, jamais elle ne le croira. Je ne peux lui dire la vérité, cependant je ne veux pas d'un mensonge de plus. Cette fille est beaucoup trop bien pour ça. Beaucoup trop bien pour moi. J'attrape sa main posée sur ma joue, l'enserre entre les miennes. J'amène le bout de ses doigts contre mes lèvres. "C'est que… Je réalise tout ce que vous m'offrez, depuis que je vous ai rencontrée. Je… Vous êtes une fille si bien, si formidable, si pure. Je ne mérite pas tout ça. Je ne vous mérite pas. Je réalise à quel point je ne vous mérite pas…" Ca y est, mes larmes coulent toutes seules, je ne contrôle plus rien. Ce que je redoutais arrive, ses jolis yeux pleurent aussi. "Ne dîtes pas ça. Ce n'est pas vrai. Et vous me l'avez déjà amplement prouvé. Alors ne dîtes plus jamais de telles âneries. Cessez de vous dévaloriser, sauf si vous tenez à me faire pleurer comme maintenant." Elle dégage sa main pour me tendre les bras. "Venez !"
Elle pose ma tête contre son épaule et me serre. Fort. Je caresse son dos. Nous pleurons de concert. Longuement. Sa main caresse mes cheveux. Je suis une enfant, et elle me console. Je sais que j'ai raison, que cette fille est formidable. Je sais que je suis chanceuse de l'avoir rencontrée. Je sais aussi que je l'aime, que je suis amoureuse d'elle, et que c'est en vain. Mes larmes qui coulent débobinent le fil de mes craintes, de ma vie. En quelque sorte, ma fée me nettoie. Je suis à la fois désespérée et heureuse, est-ce seulement concevable ? Le fait est que nous n'avons jamais été aussi proches que maintenant, serrée dans ses bras, serrée contre elle. Instinctivement je la respire, pendant qu'elle me caresse les cheveux, et petit à petit je réussis à me calmer. "Lààà…", me dit-elle tendrement, séchant ses propres pleurs. Mes mains continuent de voyager sur son dos.
Ce qui devait arriver arriva, je dégrafe bien involontairement son soutien-gorge. Je recule d'un bond, j'ai peur d'avoir cassé cette proximité. J'ai peur qu'elle m'en veuille. Je me confonds en excuses. Elle rit. "Je sais bien que vous ne l'avez pas fait exprès. Il n'y a rien de grave…" Je propose de le lui remettre, mais à ma surprise elle refuse, et entreprend de savantes contorsions, pour finir par l'enlever totalement. "J'ai bien compris que vous me préfériez sans", dit-elle en m'envoyant un clin d'œil, alors qu'elle range le sous-vêtement dans son sac. C'était involontaire, croit-elle le contraire ? Mon visage me brûle, je dois être rouge pivoine. La lumière lunaire suffit-elle à le masquer ? "Vous êtes étonnante. Vous m'aidez à oser des choses que je ne me serais jamais permises." J'ai du mal à réaliser ce qui se déroule là. "Merci", dis-je. "Merci de quoi ?", répond-elle, à son tour surprise. "Merci d'exister. Tout simplement." Pour toute réponse, elle me sourit. Nous nous taisons. Nos mains se reprennent, et nous poursuivons notre balade sur la plage. Plus rien ne compte désormais, que cette main dans la mienne, et sa propriétaire au bout. Excepté le clapotis de l'eau, nul bruit, nul intrus. Seules nos deux âmes soudées, communiant paume contre paume, doigts entre doigts. »

Sable [Ch.10]

3 commentaires:
Pourquoi avoir une telle peur de la perdre? ;) : suis loin d'être fin psychologue, mais le comportement de "notre" ;) "Fée" est loin de laisser penser qu'elle puisse vouloir se sauver quel que soit les révélations que "je" (faillis écrire "tu" :D) puisse lui faire!! non? je me trompe? :)
"involontairement" mouais...:D
bisous :*
La suite !, la suite ! :)
Tsss.. Taz :P
Après la "fée", voilà que c'est à "je" que tu veux me comparer :D
Cela dit, évidemment que chacun de mes personnages principaux hérite d'un peu de moi. Mais aucun(e) n'est vraiment moi, et heureusement (pour moi :D)
Mais tu as raison sur un point, la "fée" est si demandeuse de l'amitié de "je" qu'il semble improbable qu'elle s'en détourne..
"Je", à l'inverse, n'est pas spécialement insensible aux charmes de cette "fée". Mais en l'absence de signe clair en retour, "je" n'a jusqu'ici rien tenté en ce sens. Est-ce un tort ? A voir..
Tss.. Pas tant d'impatience, Delph', tiens-toi ! :P
Bisous vous deux :*
-MyLzz59-
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