Hercule [Ch.03]

« "Je reviens, je vais consulter la disponibilité !", m'annonce-t-il, avec une amusante pointe d'accent slave. Je ne puis le quitter des yeux, lorsqu'il rentre dans le bureau, lorsqu'il s'installe de longues minutes face à un écran d'ordinateur, lorsqu'enfin il tient un vieux téléphone sans fil qui prend des allures de jouet dans ses mains. Moi qui ai horreur de rester en plan plus de trente secondes, je l'ai attendu sagement à ma place plus d'une bonne dizaine de minutes, pendant lesquelles je n'ai cessé de le regarder fixement.

Il revient avec les morceaux, et une nouvelle mi-figue. "Je monterai à la ville demain. La pièce sera disponible en fin de matinée." En temps ordinaire j'aurais explosé, exigé je-ne-sais quoi, qu'on me dépanne sur le champ, qu'on me prête une voiture, ou fait venir ce serviable crétin de Dumoudugland... pardon: Dumoulin, qui croit qu'en exécutant le moindre de mes ordres je vais le prendre sous mon aile. Ni sous mon aile, ni entre mes jambes. Rien, lui. Trop con. Trop ...mou ! Rien à voir avec cette force de la nature en bleu de travail. Je me demande comment il est proportionné dessous son bleu. Mouillerais-je, d'ailleurs ?

Reste que je me retrouve bloquée dans ce trou jusqu'à au moins midi. Pourtant, je n'ai pas spécialement envie de m'en aller. Oublié, même mon travail, la preuve de mon indépendance, ma fierté de m'assumer. Je ne pense plus qu'à coller aux basques, ou aux chaussures coquées, de ce colosse qui, depuis, a même réussi à me décocher un sourire si craquant. C'en est presque contradictoire avec une telle carrure.

Je finis par lui demander s'il existe un hôtel, ou à défaut un endroit où passer la nuit, dans les environs. Je mise un peu sur le manque d'infrastructure, là… Il me répond de sa voix grave et étonnamment douce: "Un hôtel ? Oh non ! Il faudrait pour cela monter à la ville, et encore… Même le gîte de l'autre côté de la ville, à [je n'ai pas capté le nom du trou, je buvais ses paroles telle une musique qui me faisait vibrer], mais je ne crois pas qu'il tourne". Je le dévisage, les yeux dans les yeux, à m'en attraper un torticolis, malgré mes talons. Nous restons un instant immobiles ainsi. Il réfléchit et moi j'ai la conviction de l'avoir touché. Il finit par me proposer: "J'ai peut-être une solution, il faut que je voie si mon oncle est d'accord, et si cela vous convient. Ca saute aux yeux que vous êtes une citadine". Une fois de plus je détourne intérieurement le propos. Citadine m'évoque une petite voiture, petite face à lui, et une chienne d'envie qu'il me grimpe dedans et me mette des kilomètres au compteur. Décidément, il m'inspire !

Son oncle, c'est le gros barbu de la dépanneuse. C'est à lui qu'appartiennent et le garage, et la grange reconvertie en habitation, à la périphérie du hameau. Il veut bien que j'occupe, après âpre discussion avec Hercule, son neveu, la chambre attenante à celle d'Hercule, jusqu'à demain. Il m'offre la chambre, et me demande une participation au repas, laissée à ma discrétion. Il n'a pas vocation hôtelière, c'est un deal que je comprends et accepte. De plus, je vais me retrouver séparée d'à peine une cloison de celui qui hante mes pensées, pendant que l'oncle restera en bas, au rez-de-chaussée. »

-MyLzz59-