« J'attrape ses poignets: "Dis, je suppose qu'Hercule n'est qu'un surnom. Quel est ton vrai prénom ?" A cette question, elle s'interrompt quelques instant, pour me sortir avec un accent slave: "Magdaliena". "Magdaliéna ?", dis-je, en insistant sur le "i". Elle corrige en tentant de gommer son accent: "Non, Magdalena", avant de reprendre les larmes de plus belle.
"Magdalena", murmuré-je, décidée à ne plus employer à son égard que ce prénom, et lui parler au maximum au féminin. "A défaut de pouvoir te prendre dans mes bras, hisse-moi comme tout à l'heure." Son visage réapparaît de derrière ses mains, elle ose même un sourire furtif. "Attendez un instant", me répond-elle, en saisissant sur le meuble un mouchoir en papier. Et après s'être mouchée elle me soulève comme demandé. Je l'enserre de mes bras du mieux que je peux, je caresse sa joue, ses cheveux… Je plaque tendrement son visage au creux de mon épaule. C'est une situation légèrement anachronique, j'en conviens, mais ce géant n'est rien d'autre qu'une fille normale, confrontée à vie malgré elle à une situation anormale, et qui ne demande rien d'autre que la même chose que tous les autres enfants: qu'on les écoute, qu'on les comprenne ou du moins que l'on essaie. Peu à peu, ses pleurs se calment. Mes caresses la consolent. Je finis par lui proposer de nous allonger de nouveau sur le lit. Elle m'y dépose délicatement, et prend place à mes côtés. A la différence de précédemment, nous nous faisons face, tournées de flanc. Je continue de caresser ses cheveux, sa joue…
Je lui demande doucement: "Tu te sens la force de me parler de cette maladie, Magdalena ?" Elle baisse les yeux un instant, puis revient vers moi. "Oui… Enfin, je vais essayer…" Elle me prend la main, et la garde au creux de la sienne. "Acromégalie. C'est la maladie dite du gigantisme. C'est une tumeur qui s'attaque à l'hypophyse, et dérègle sa production hormonale. Généralement, l'augmente. Ce qui entraîne une croissance exagérée. D'abord des extrémités, mains, pieds, tête. Dans ma malchance, j'ai au moins la veine qu'elle se soit déclarée avant ma puberté, sinon mon corps n'aurait pas grandi dans les mêmes proportions. J'aurais été davantage difforme."
Je veux la rassurer de nouveau: "Je comprends mieux, maintenant. Mais il n'empêche, sache-le bien, que je trouve que tu es une jolie fille. Très grande, mais jolie." J'ai beau l'avoir dit avec toute ma conviction, elle arbore un air sceptique. J'ai envie d'aller plus loin avec elle, de comprendre, et de lui faire exprimer ce malaise que je perçois. Je glisse un mot sur son oncle. Elle dément: "Je l'appelle ainsi, mais en réalité il n'est pas mon oncle. Sa femme et lui m'ont adoptée lorsque j'avais sept ans. J'étais encore normale, à l'époque. Ils sont allés m'acheter, c'est le mot, dans un orphelinat, quelque part en Europe de l'Est. Ils ne m'ont jamais dit où exactement. C'était une période magnifique de ma vie. J'ai été heureuse, pendant presque un an. Jusqu'à ce que sa femme, ma nouvelle maman, se fasse tuer par un chauffard. Les deux années qui ont suivi ont été un enfer. Nous avons déménagé pour ce village, loin. Je ne peux même pas aller me recueillir sur la tombe de Maman. Il a voulu oublier, faire le vide. Tout ce que j'ai pu sauver d'elle tient dans une petite boîte, cachée."
"De plus, j'avais commencé à grandir un peu trop. Mon visage avait l'aspect de celui d'un garçon, ma voix baissait dans les graves. Alors, comme je portais des vêtements pas spécialement féminins, des jeans et des pulls bon marché, les gens me prenaient pour un garçon. C'est là qu'il s'est mis à m'élever comme un garçon. Il avait besoin d'un apprenti, il m'a appris la mécanique auto, laquelle m'a intéressée, et a inventé cette histoire d'oncle. Je n'ai pas eu le choix, j'ai suivi… En plus, je n'arrêtais pas de grandir, et devenir de plus en plus carrée, de plus en plus monstrueuse. Il m'était moins difficile de me faire accepter au sein du village en tant qu'homme, vu mon gabarit, alors j'ai mis la jeune fille de côté, enfermée en dedans. Et puis, une fille qui répare les voitures, ça perturbe encore bien des gens…" »

Hercule [Ch.09]

4 commentaires:
je ne pensais que la commerciale puisse faire preuve d'autant de sentiments!!!
elle en devient presque fréquentable. ;-)
bisous Miss, on attend la suite :-)
Rhôô, mais même chez cette commerciale sommeille (profondément parfois) un être humain :D
Bisous aussi, Taz :*
-MyLzz59-
Encore et toujours devoir cacher ou camoufler ses différences quelles qu'elles soient .
Eh vi, éternel débat à propos des bipèdes pas assez évolués mentalement pour être capables de respecter l'autre non pas comme photocopie de leur idéal mais dans le respect et l'acceptation de ses différences..
A des vitesses fort différentes selon les types d'endroits et de populations, mais les choses évoluent néanmoins dans le bon sens, comment pourrait-il en être autrement ?
Certes il est encore des coins où tout reste à faire, et c'est loin d'être gagné, comme en témoigne ce magnifique ouvrage documentaire que je suis en train de lire: Home Ghetto, de F. Chaumont, un livre "qui calme", tant c'est atterrant de constater les moeurs "préhistoriques" (pardon à nos lointains ancêtres qui se sentiraient insultés par cette comparaison (et non l'inverse)) de bipèdes vivant pourtant dans le même début de millénaire que nous !! Un livre auquel je dédierai sûrement un post, mais que je vous recommande d'ores et déjà..
Mais bon, et pour ne pas plomber l'ambiance, je doute que Magdalena prenne de vrais risques à s'exposer dans son village.. excepté celui de défriser quelques locaux peu habitués à croiser des personnes comme elle :P
Bisous :*
-MyLzz59-
Enregistrer un commentaire