Mirana [Ch.02]

« Elle m'a repérée, elle s'avance vers moi dans un déhanché tout félin. Mon regard rencontre le sien. Elle a de grands yeux maquillés de façon exagérée, les pommettes et le bout du nez ornés de rouge, de très fines lèvres scintillantes. Sous ce déguisement je devine un joli minois qui m'apparaît particulier, quelque chose d'inhabituel sans que je sache définir en quoi il l'est. Je dois me l'avouer, je constate que je semble sous son charme. "Bonsoir grande fille. Puis-je t'offrir un bonbon ?", me dit-elle alors que ses yeux pétillent. J'hésite. Je ne m'attendais pas à une attaque si directe… "N'aie pas peur, ils sont très bons, tu sais… Ne sois pas timide, je ne suis qu'une demoiselle renne toute gentille…" Je lui souris. Quelque chose dans mon sourire a dû l'alerter, car elle enchaîne: "Non, ce n'est pas de la timidité, je perçois une certaine tristesse. Ce n'est pas de circonstance, en ce soir de Noël… Est-ce qu'il y a quelque chose que je puis tenter pour ramener un peu de joie sur ce visage ?" Brave fille, et qui ne s'embarrasse pas de chemins détournés. Je me surprends à lui faire confiance, alors que je ne la connais absolument pas. Je m'ouvre: "C'est que je vais me retrouver à passer cette nuit de Noël toute seule, ma famille est trop loin, et aucun de mes amis n'était disponible." Elle rit: "Ah, ce n'est que ça ? J'ai craint qu'il y ait eu beaucoup plus grave… Tu sais, moi aussi je vais passer la nuit seule. Noël ou pas, les filles comme moi ça n'a pas d'amis. Mais si ça te dit, nous pourrions fêter Noël ensemble." Je n'aurais pu espérer mieux que cette invitation spontanée. J'ai accepté avec joie. Elle est retournée distribuer ses bonbons, car elle doit travailler si elle veut mettre assez d'argent de côté pour se payer un jour son opération. Je n'ai rien compris à cela, excepté qu'elle constitue son but dans sa vie. De quoi souffre-t-elle ? En tout cas elle n'en laisse rien transparaître… Elle m'a aussi dit s'appeler Mirana, et si sa proposition m'intéresse, de l'attendre près de la porte du personnel, une vingtaine de minutes après la fermeture du magasin.

Vingt heures quinze. Le parking s'est vidé, les grilles sont baissées, un tracteur termine de ranger les enfilades de caddies dans les différentes niches. J'ai acheté une rose en plastique et tissu, rouge et couverte de paillettes. C'est tout ce que j'ai trouvé. J'attends assez fébrilement la sortie de Mirana, je me raccroche à cette amitié soudaine comme à un phare dans ma nuit. A moins qu'en guise de phare je ne voie que l'ampoule allumée au-dessus de la porte… Un bruit, un claquement. La porte s'ouvre, et un flot d'employées sort, en groupes caquetants. Entre deux groupes, je l'aperçois, seule. Elle a quitté son serre-tête au profit d'un chouchou, elle porte une veste de cuir par-dessus son bustier, et un pantalon fuseau sous une jupe plissée courte. Ses chevilles nues sont si fines, si jolies… Elle se fige sur le palier de l'escalier métallique, et parcourt du regard le parking. J'avance d'un pas. Elle me voit, son visage s'illumine d'un large sourire. J'ignorais pouvoir provoquer un tel effet, surtout chez une femme… J'ignore aussi ce qui m'attire chez cette femme, moi qui reste certaine de ne pas être gouine.

Son maquillage est différent. Elle a enlevé la couleur sur ses pommettes et son nez, a mis un rouge intense sur ses lèvres si fines, et un bleu profond sur ses yeux. Quelques paillettes autour de son nez, en guise de taches de rousseur, brillent sous l'éclairage du parking. Je me redis qu'il y a quelque chose de particulier dans son visage, je finirai par trouver… Ca me fait bizarre de tendre ma fleur à Mirana. Elle, en est ravie. Elle plie et replie la tige jusqu'à la couper, à une dizaine de centimètres, recourbe le bout, et plante la fleur entre ses seins. Puis elle approche son visage du mien. Je reste immobile. Elle colle ses lèvres entrouvertes contre les miennes quelques instants, j'ai pu sentir son souffle doux, et se retire en souriant. C'est bien moi, qui viens de me laisser ainsi embrasser sur la bouche ??

J'ouvre la portière droite de ma voiture afin que Mirana prenne place. Comme elle habite à proximité du magasin, elle n'est pas véhiculée. Elle referme délicatement la portière, et me fait une proposition d'emploi du temps pour la soirée: restaurant pour commencer, une table tranquille histoire de discuter tout en dégustant un bon repas, et accessoirement faire plus ample connaissance. Qu'entend-elle précisément par-là ? Ensuite elle m'invite à venir l'écouter chanter à l'église, lors de la messe de Noël, de dix à onze heures. Mirana chanteuse à l'église, ça pour du contraste ! Je ne suis pas pratiquante, mais là ça m'intrigue suffisamment pour me titiller. Et enfin, nous irons compter les douze coups de minuit dans un petit cabaret où elle a ses entrées…

Durant le restaurant, nous avons beaucoup parlé. Nous nous sommes énormément rapprochées, Mirana est d'une compagnie fort agréable. Elle m'a raconté sa vie avec force de détails, pourtant je garde une curieuse impression de zones d'ombre, ou de non-dits. Il reste une chose qu'elle omet volontairement. Son regard me transperce et me désarçonne. Je ne suis pas parvenue à trouver ce qui m'interpelle dans son visage. La main de Mirana est douce. Grande aussi, mais fine, et ses ongles joliment manucurés. Je le sais, car je tripotais le pied de mon verre, quand elle a posé sa main sur la mienne. Je ne l'ai pas retirée. C'est aussi main dans la main que nous sommes sorties et avons repris la voiture en direction de l'église. J'avoue ne plus vraiment discerner s'il s'agit d'amitié "tactile", ou de la naissance d'une forme d'amour dite "contre nature". J'avoue aussi que je m'en fiche, et même si je maintiens encore ne pas être attirée par les filles je sais que si Mirana tentait quelque action je la laisserais faire… »

-MyLzz59-