L'Improbable Vécu... [Ch.03]

« Cet après-midi de fin février, le professeur de français tentait tant bien que mal de maintenir un semblant d'attention chez sa trentaine d'ados passifs qui après avoir consommé les "délices" de la cantine semblait plus prompte à entamer une petite sieste yeux néanmoins semi ouverts qu'à reprendre en guise de dessert supplémentaire quelque subtil "dussé-je" du cru de ce professeur. Un après-midi somme toute des plus ordinaires que celui de cette classe de Seconde. Même Mylène cogitait plus sur la façon dont elle allait occuper le quart supérieur droit de sa feuille resté libre de toute prise de notes... Qu'allait-elle y dessiner ? Une bestiole ? Un véhicule ? Deux filles symbolisées ? Ou plus simplement un texte en écriture miroir, inversé gauche-droite, une autre de ses distractions quand à l'instar de ses congénères elle se croyait persécutée par sa fieffée coquine de montre qu'elle soupçonnait de ralentir lorsqu'elle devinait que le sujet du cours ne la passionnerait pas... Pourtant, quelque chose d'indéfinissable provoquait en Mylène un sentiment curieux, une sorte de léger doute, une intuition, elle éprouvait une inhabituelle fébrilité sans qu'elle fût capable d'en trouver la cause au sein de ce cours, ni d'ailleurs dans ceux de la matinée. Même son horoscope, ce matin-là, alors que d'habitude elle ne le lisait qu'histoire de sourire à ces fadaises, l'avait interpellée.

L'on frappa à la porte. Ou plus exactement au carreau. Sans attendre l'invitation du professeur, le proviseur entra, accompagné d'un individu d'une quarantaine d'années entamée, comme lui vêtu d'un costume-cravate sombre. A son expression, notre enseignant semblait ne pas avoir été informé de cette venue. La classe se leva, mollement, en guise de salut respectueux, plus inspiré par la crainte d'une représaille du proviseur que par l'envie d'interrompre cet état semi comateux de phase de digestion. "Mesdemoiselles, Messieurs, vous n'êtes pas sans ignorer..." Raté, triple négation, pensa Mylène, en réprimant son envie de faire poindre au coin des lèvres un petit sourire. "...que cette année vous allez devoir commencer votre immersion dans le monde du travail, par un stage ouvrier, pendant les prochaines petites vacances..." Involontairement, il venait de régler le problème de l'utilisation du quart de feuille de Mylène, qui y inscrivit ce qu'elle comprit du reste du discours. "...bla-bla-bla... Monde du Travail... re-bla-bla-bla... Occasion de devenir enfin Adultes (n'est-ce pas, Tartempion, vous là au fond ?)... re-re-bla-bla-bla..." Puis, au bout de quelques minutes, il enchaîna "...vous présente Mr Schmolldu, de l'Organisme Truc, encore-bla...", et l'autre finit par prendre la parole. Tel un gourou animé par une vraie croyance, il se mit à détailler les bienfaits de la vie active, les joies du travail, auxquels ils allaient enfin avoir le privilège de pouvoir prendre part, ne serait-ce qu'au travers de ces quelques semaines d'immersion "en touristes" que représentait "l'opportunité" de ce stage. Des tirades mises en scène façon "to be or not to be", il le vivait intérieurement, ce gars, indéniablement... Enfin, la plupart des élèves n'en avaient retenu que le sacrifice obligatoire des petites vacances scolaires en échange des deux semaines de cours suivant ces vacances, elles aussi affectées au stage.

Cet interlude de presque une heure et demie terminé, la vie scolaire reprit son cours. Même à la pause, il ne fut guère question de stage ouvrier en entreprise, à peine fut-il évoqué que le professeur de français s'était fait écourter le cours. Au départ du proviseur, tous s'étaient levés de nouveau, puis la demi somnolence recommença sous les grognements hésitants de l'enseignant... La "délivrance" pour Mylène eut lieu le soir-là, lorsqu'elle refit à ses parents les tirades de l'intervenant quant au stage en entreprise. Elle prit soin, tout comme lui, d'omettre tout point négatif, toute empressée de découvrir cette expérience nouvelle pour elle, elle qui n'avait exercé comme "métier" que monitrice dans le centre aéré de son village. Ah, l'élan de la jeunesse ! Ses parents, plus aguerris, mirent rapidement le doigt sur les points négatifs pourtant savamment omis, le premier étant bien évidemment la recherche et l'obtention dudit stage, que l'établissement scolaire se gardait bien de proposer lui-même. C'est facile de demander aux jeunes d'effectuer un stage, en leur imposant la période de surcroît, c'est une autre paire de manches que d'en trouver un sur à peine quelques semaines, auprès d'entreprises qui ont d'autres chats à fouetter que de s'empêtrer dans une forme de "baby-sitting" dont elles n'avaient rien à attendre en retour. Comme souvent, méthode bien plus efficace que la rédaction et l'envoi de courrier tous azimuts pour pleurer un stage, la connaissance d'une connaissance bien placée, permet ce genre d'échange de bons procédés. Mylène était fille de ses parents, les admirait et en resterait fière toute sa vie, néanmoins être un peu plus "fille de" l'aurait quelque peu arrangée sur ce coup-là...

Comme d'autres, elle s'appliqua à écrire lisiblement, luttant contre son habitude, quantité de lettres, dépensa autant de timbres, pour quelques rares réponses, évidemment négatives. Curieux monde, se prenait à rêvasser Mylène, depuis son bureau, le regard à l'infini au travers de la fenêtre de sa chambre, entre deux questions de ses devoirs, tout en mâchouillant machinalement le bout de son stylo.. »

La Suite dans le Chapitre 4..
-MyLzz59-