"Ma Chérie, Mon Amour", ou
L'Histoire d'une Impossible Love-Story
(P) Mylène 10/1989« Il fait nuit. Sous les lumières des réverbères se promènent main dans la main Gaétan et sa meuf'. A une dizaine de mètres derrière, une jeune femme portant un sparadrap sur le sourcil droit les suit en cachette... En se retournant pour observer une enseigne aux néons clignotants, Marie-Françoise aperçut la fille au sparadrap.
- Qu'est-ce qu'il y a, demanda Gaétan.
- Rien. Un sparadrap...
- Dis, t'es sure que tu t'sens bien ? A mon avis t'aurais dû boire de la bière tout à l'heure. La limonade, ça t'réussit pas.
- Elle me suit depuis le début...
- 'tu dis ?
- Rien.. Embrasse-moi, là, maintenant !
Elle se jeta sur lui, et précipita ses lèvres contre les siennes. Jugeant cela insuffisant, elle lui guida les mains jusque sous sa jupe. Il était aux anges, mais ne comprenait pas pourquoi elle, qui s'était jusqu'alors refusée sous prétexte de romantisme, s'offrait ainsi à lui, en pleine rue... La Jeune femme au sparadrap, le dos contre le mur, se mordit la lèvre pour ne pas crier. Le coeur brisé, elle se sauva loin, très loin de cette scène, et erra jusque tard dans la nuit, cherchant en vain à apaiser sa douleur...
Le lendemain matin, un jeudi, tous étaient en classe, attendant le cours de mathématiques. Tous, sauf une. Jocelyne, qui arrivait habituellement à huit heures moins le quart avec la ponctualité d'une horloge, avait déjà douze minutes de retard.
- Dis, Connie, tu n'as pas vu Jocelyne, ce matin ? demanda Marie-Françoise.
- Euh non, en effet, ça n'est pas normal. Ça ne lui ressemble pas.
- Pas plus que son comportement d'hier...
Sibylline s'approcha :
- Jocelyne ? Si, je l'ai vue...
- Où ? Quand ?
- Elle est bien arrivée à quarante-cinq. Elle allait vers la salle de sports...
- Vers la salle de sports ? Et pourquoi ça ?
- J'en sais rien. Elle avait peut-être oublié quelque chose...
- Tu n'as rien remarqué de particulier, dis ?
- Attends, si. Elle n'avait pas son sac. Elle tenait une sorte de plastique. Elle avait l'air comme absente...
- Oh, mon Dieu, non ! s'exclama Marie-Françoise.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Connie.
- Pas le temps de t'expliquer. Si le prof arrive, dis-lui que j'en ai pas pour longtemps...
Marie-FranÇoise sortit en trombe, s'élança dans les couloirs, les escaliers, bousculant du monde dans sa course effrénée... Elle arriva essoufflée à la porte du vestiaire des filles, mais ne put entrer, celle-ci était fermée à clef. Elle passa par l'autre issue, pensant : "Pourvu qu'elle soit là, pourvu qu'elle n'ait pas fait de bêtise".
Elle était bien là, assise à l'endroit même où avait eu lieu quelques dix-huit heures trente auparavant sa vaine déclaration d'amour. Près d'elle, sur le banc, un flacon de liquide éthéré médical, un tampon imprégné de ce liquide odorant, une lettre soigneusement cachetée, non timbrée, un garrot de caoutchouc, un stylo-feutre. Sa manche gauche totalement remontée laissant apparaître sur son bras la strangulation du garrot, qui a dû servir à faire enfler et rendre apparente la veine, laquelle était repérée par un trait noir tout le long de l'avant-bras, elle sanglotait, l'extrémité de la lame de son cutter légèrement enfoncée dans la chair, un peu de sang rouge perlait du trait noir. Visiblement elle voulait se suicider en s'entaillant la veine dans le sens de la longueur de l'avant-bras, mais, origine de ses sanglots, n'arrivait pas à se résoudre à franchir le pas ultime d'un choix médité.
Marie-Françoise s'approcha. Un sentiment de malaise la tenait.
- Jocelyne !
Elle releva les yeux. Son regard était vide, comme si toute pensée y était absente, puis sa tête retomba. Dans un geste rendu irraisonné par le désespoir, elle tenta d'enfoncer le cutter plus rapidement, afin d'en finir avec la vie. Sa main tremblait.
- Jocelyne...
Mais Jocelyne ne bougeait pas. Elle ne l'entendait pas. Elle ne l'entendait plus. Du sang sortait de la plaie créée par le cutter. Inexorablement...
- Non, Jocelyne, arrête. Ne fais pas ça. Je t'en prie. Pose ce cutter...
Marie-Françoise tomba à genoux, n'osant approcher Jocelyne :
- S'il-te-plaît...
De nouveau Jocelyne osa regarder Marie-Françoise, dont les yeux s'humidifiaient. Elle la fixa durant d'interminables secondes, le cutter toujours planté dans son avant-bras, puis baissa les yeux. Le cutter résonna contre le béton du sol... Jocelyne, la tête dans ses mains, ne savait plus que penser, que comprendre. Ses lourdes larmes qui roulaient dans le creux de ses mains, descendaient le long de ses avant-bras avant de se perdre dans le tissu de sa jupe, rassurèrent Marie-Françoise, Jocelyne avait renoncé à sa folle et désespérée tentative de suicide... Lentement Marie-Françoise se leva, et s'approcha de Jocelyne. Elle lui mit la main dans tes cheveux :
- Pourquoi, Jocelyne ?
Elle lui tendit sa lettre à deux mains, mais n'osa pas regarder celle qui la décacheta. Elle était adressée, comme l'indiquait le prénom sur l'enveloppe, à Marie-Françoise. La destinataire la lut :
Ma Chérie, Mon Amour,
Tu découvriras cette lettre près de mon corps, car quand tu la liras, je ne serai plus. Tu vois, je pense à toi. Je t'avais offert ma vie, ce que je croyais être le plus merveilleux des présents, comme gage de mes sentiments, mais tu n'en as pas voulu, tu m'as rejetée, comme on rejetterait une vulgaire chienne bâtarde, dont on aurait honte. Alors je t'offre ma mort, en espérant que cette fois je ne me suis pas de nouveau trompée, que ce présent te plaira. Après tout, ma mort était la meilleure des solutions : tu es débarrassée à jamais de moi, et moi je ne souffrirai plus jamais de t'aimer sans aucun espoir de te voir éprouver pour moi ce que pour toi je ressens. Je l'ai très bien compris, que tu ne m'aimerais jamais. Tu n'as pas du tout pensé à quel point tu me rendais malheureuse, quand tu me repoussais, dans ce vestiaire. Et cette nuit, tu savais que j'étais là. Tu m'as vue, j'en suis sûre. Je vous observais, main dans la main. Vous étiez heureux, et moi je souffrais en silence, car j'imaginais ô combien ç'aurait pu être irréel et féerique, nous deux main dans la main sous les étoiles. Et puis soudain, le cauchemar. Il est venu sur toi, tu lui as cédé, il t'a touchée, et tu as probablement dû le laisser te prendre en pleine rue. Oh, Marie-Françoise. Pourquoi avoir fait ce que même la dernière des traînées n'aurait pas fait ? Non, ne réponds pas, je sais très bien pourquoi tu as agi ainsi. Je ne suis ni aveugle ni complètement cloche, tu sais. Tu me détestes, je n'y puis rien... J'aurais quand même une petite faveur à te demander. Oh, pas pour moi, là où je serai je n'aurai plus besoin de rien, mais pour mes parents. Même si tu me hais aussi fort qu'il soit possible de haïr, comprends la douleur que cela causera à mes parents. Aide-les, essaie de leur expliquer mon geste, il m'aurait fallu beaucoup plus de courage que j'en ai pour le faire moi-même, même par une simple lettre. Ce sera tout. En leur nom je t'en remercie d'avance. D'autre part, conserve cette lettre. Non pas pour garder un souvenir de moi, ce sera la dernière chose au monde que tu voudras faire, mais parce qu'il y aura certainement une enquête sur mon décès, et que tu risques d'être suspectée, voire accusée d'une chose que j'ai décidée seule, ni contrainte ni forcée, simplement parce que ma vie sans toi ne valait pas la peine d'être vécue. Ce serait trop injuste que tu sois punie alors que tu es innocente. Je ne me le pardonnerais jamais. Adieu donc, Marie-Françoise, Ma Chérie, Mon Amour, va, et sois heureuse sans moi, et sache que loin, très loin, au Ciel, en Enfer, sous terre, aux confins de l'univers, ou peut-être nulle part, il y aura toujours quelqu'un qui t'aimera, et priera pour toi.
Ta chienne bâtarde : Jocelyne. »
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