
« "Tra-La-La, Tra-La-La, Tra-La-Li-La-Lère…" Ambiance cœur d'enfant retrouvé sous la nuit à peine tombée mais éclairée de millions de lucioles électriques de toutes couleurs, dans cette atmosphère un peu fraîche mais réchauffée d'odeurs des plus variées, caramel, épices, vin chaud, raclette ou choucroute, selon les chalets devant lesquels je passe. Marché de Noël, alignement de stands décorés [..] »
Janvier est le mois où le linge de maison vient remplacer bien tristement la féérie ambiante de la fin d'année, et dont le seul intérêt, une fois le cortège d'augmentations passé, réside en la dilapidation des derniers deniers conservés dans de supposées bonnes affaires appelées "soldes". Cette nouvelle petite histoire (3 chapitres) est l'occasion de prolonger un peu la féérie..« Je me revois haute comme à peine trois pommes, emmitouflée dans d'épais vêtements [..] à une époque pas si lointaine donc, mais où il neigeait encore pour les fêtes de fin d'année. Je me revois surtout accompagnée de mes parents, époque bénie où mon insouciance découlait directement de l'amour qu'ils me prodiguaient, mais ça je ne l'ai compris que plus tard [..] »
Dans cette histoire sans prénoms, "Je", la narratrice, aurait pu être moi, tant sur un certain nombre de points elle me ressemble, elle qui assume son côté enfant qu'elle n'a pas honte de libérer derrière l'adulte qu'elle est, elle dont la blessure de la disparition de ses parents se ravive au détour d'une anecdote qui fait se télescoper le passé avec le présent.« "Oups, pardon, désolée, je ne regardais pas", je viens de percuter une jeune femme. Voilà ce que c'est, de gamberger n'importe où. "Oh, ce n'est pas grave, n'ayez pas l'air triste, je n'ai rien, et puis moi aussi, j'aurais pu faire attention…" Je la regarde, elle est mignonne, de grands yeux à la couleur incertaine dans lesquels se reflètent les nombreuses lucioles clignotantes, de grands yeux habités par le monde féérique de Noël [..] »
"Moi je marchais les yeux par terre,Toi t'avais toujours les yeux en l'air,
Et c'est comme ça qu'on s'est connus [..]"
(F. Cabrel, "Les Chemins de Traverse")
Télescopage aussi entre la narratrice et l'autre protagoniste de cette histoire, la jeune femme, dont les destins vont se croiser. L'histoire peut commencer..

Marché de Noël [Ch.01]
« "Tra-La-La, Tra-La-La, Tra-La-Li-La-Lère…" Ambiance cœur d'enfant retrouvé sous la nuit à peine tombée mais éclairée de millions de lucioles électriques de toutes couleurs, dans cette atmosphère un peu fraîche mais réchauffée d'odeurs des plus variées, caramel, épices, vin chaud, raclette ou choucroute, selon les chalets devant lesquels je passe. Marché de Noël, alignement de stands décorés où des artisans nous vantent les mérites de tout et n'importe quoi pas vraiment en rapport avec Noël, et parfois même de fabrication locale …chinoise ! Mais j'aime venir me perdre en ces lieux qui me rappellent ma vie d'antan. Enfin j'exagère, je ne suis pas encore une quadra, je faisais référence à mes années d'enfance, celles qui, lorsqu'on les vit, nous apparaissent si longues à passer avant de devenir adulte, et qu'on regrette d'avoir passées si vite une fois adulte. Je me revois haute comme à peine trois pommes, emmitouflée dans d'épais vêtements dans lesquels je suais et qui m'empêchaient bien des mouvements, au milieu de stands semblables, à une époque pas si lointaine donc, mais où il neigeait encore pour les fêtes de fin d'année. Je me revois surtout accompagnée de mes parents, époque bénie où mon insouciance découlait directement de l'amour qu'ils me prodiguaient, mais ça je ne l'ai compris que plus tard. Avec le recul…
Ca y est, je suis à deux doigts de me mettre à pleurer, et je ne le veux pas. Pas maintenant, pas ici. Ce soir l'ambiance doit être festive, je vais ranger l'image de mes parents dans un coin de ma tête, j'irai les pleurer ce dimanche matin encore, dans ce grand lieu trop calme, au bout de la bien-nommée rue de l'égalité, où ils reposent depuis quelques années, fauchés tous deux par cette chienne de vie.

"Oups, pardon, désolée, je ne regardais pas", je viens de percuter une jeune femme. Voilà ce que c'est, de gamberger n'importe où. "Oh, ce n'est pas grave, n'ayez pas l'air triste, je n'ai rien, et puis moi aussi, j'aurais pu faire attention…" Je la regarde, elle est mignonne, de grands yeux à la couleur incertaine dans lesquels se reflètent les nombreuses lucioles clignotantes, de grands yeux habités par le monde féérique de Noël. Qu'est-ce qui m'arrive, moi ? Je ne me voyais pas lui causer de ses yeux, ni de mes parents, j'ai souri, souri de mon sourire d'enfant ressorti pour l'occasion, et elle a fait de même. Héé ! Je viens tout juste de remarquer ce qui orne sa tête, un magnifique bonnet rouge scintillant, terminé de fausse fourrure blanche, d'où émergent deux fausses nattes blanches également, dans lesquelles de petites lampes imitent des gouttes qui tombent. Je suis sous le charme, du bonnet j'entends, enfin il me semble. Je lui demande où elle l'a acheté, et elle m'indique approximativement l'emplacement du chalet. Je la remercie, me confonds encore en excuses au point de la faire rire, puis y cours.
Snif, le vendeur n'a plus ce modèle, une jeune femme lui a acheté sans le savoir le tout dernier exemplaire. Il veut me suggérer d'autres modèles, je le calme vite, je déteste que l'on cherche à décider pour moi. D'autant que ce machin terminé par un ressort au bout duquel se balance un pompon avec deux yeux et un nez est juste …ridicule ! Je suis grave, je l'admets volontiers, mais quand même pas à ce point. J'ai trouvé mon bonheur, dans le chalet attenant, un bonnet également, mais orné d'un Père Noël tout en fibre optique. Les gens me regardent, munie de mon couvre-chef lumineux, au moins ça leur signale mon existence, et ainsi ils m'évitent. Dire qu'ils font de ces têtes, c'est à croire que l'esprit de Noël leur aurait fait mal, en leur tombant dessus. Je ris seule, quand je ne chantonne pas un de ces airs de saison que j'entends dans la sonorisation. Je me faufile dans les allées, observe la diversité des articles sur les étals, quand je parviens à approcher le stand !
"Ohh !" Un autre souvenir de mon passé vient de me bondir à la figure, ces pains d'épices recouverts de sucre glace, avec une étiquette à l'effigie du Père Noël ou de Saint Nicolas ! Mes larmes remontent, en même temps que les images de la gamine que j'étais, qui se goinfrait de ces délicieux bonhommes, l'hiver, sur le chemin du retour de l'école. C'était vraiment bien, l'enfance. J'ai demandé à la vendeuse trois de ces pains d'épices, mais pourquoi ai-je truffé ma phrase de "Madame" ? L'enfant a pris le contrôle de l'adulte en laquelle elle s'est changée… Je fais la moue, je n'ai qu'une moyenne coupure sur moi, je m'en excuse. La vendeuse prend mon billet, m'explique qu'elle va encaisser l'autre cliente, qui a l'appoint, en premier. Elle aussi a acheté un pain d'épices. "Joli bonnet", me dit-elle. Non, c'est la dame de tout à l'heure ! Je lui souris: "Il n'y avait plus votre modèle", dis-je. "Vous n'avez pas perdu au change", me répond-elle en souriant. Mais la vendeuse rompt ce moment en me tendant mon reste. "Peut-être à de suite, qui sait ?", me sort-elle en filant dans la direction opposée à la mienne.
Je déballe mon pain d'épices, avance délicatement le produit pour ne pas croquer l'étiquette, et mords dans mon enfance avec délice. J'en frissonne, comme si j'en avais été en manque. Cependant je ne puis m'empêcher de songer à cette jeune femme croquant le sien…
Je me calme à mi-Père Noël, un kiosque en plexi dans lequel tournicotent des mini manèges scintillants et musicaux m'attire comme un aimant. Un mini paysage féérique que mes yeux d'enfant dévorent avec gloutonnerie ! J'hésite. Vais-je craquer pour cette patinoire sur laquelle glissent de petits personnages slalomant entre les sapins lumineux, ou cette roue qui s'élève, tout en tournant, ou ce circuit de nacelles, ou ce village animé, ou ce… L'enfant retrouvée en moi voudrait tout, cependant mon nombre de bras étant de deux seulement, et surtout le prix dissuasif de ces décorations, me rendront raisonnable. J'entre, et …me retrouve nez à nez avec la même jeune femme, elle vient d'acheter le moulin couvert de fibre optique ! "Il était écrit que nous allions nous croiser, ce soir", me dit-elle d'un sourire complice auquel je réponds: "A tout à l'heure, donc", en lui tenant le battant de la porte. Je voulais consulter le prix du moulin, mais là encore elle a acheté le dernier exemplaire. Je ressors avec la patinoire, l'avantage c'est que son emballage est plat, il se loge plus aisément dans un sac que le moulin…
Dans l'allée suivante, une odeur sucrée m'appelle. Lors de soirées comme celle-ci, il ne serait pas sérieux de rester sérieuse, et puis ces filets de pâte qui plongent dans l'huile, c'est tout bonnement diabolique, faudrait être ascète pour leur résister. "Vous m'en mettrez un grand cornet, s'il-vous-plaît !" Et une quinzaine de churros (ou chichis) au sucre, la balance saura me les rappeler ! D'autres stands défilent, des ustensiles de cuisine, de coiffure, des vêtements divers, tiens l'écharpe poilue qui fait aussi fourreau de danse ou bustier un peu trop transparent à mon goût, je l'ai achetée quatre fois moins chère dans la galerie de mon centre commercial…
L'avantage quand on s'acharne sur un cornet de churros, c'est qu'on est trop occupée pour se laisser tenter par les stands devant lesquels on passe, c'est le porte-monnaie qui discutera avec la balance pour nous. "Vous avez eu raison, c'est divin les chichis !" Je relève le nez, c'est de nouveau la jeune femme, elle aussi avec un cornet, mais provenant d'un autre stand. Elle a trouvé un drôle de sac en toile, dont les anses permettent de le porter en sac à dos, elle me fait penser à un escargot, avec son moulin dans le sac, elle m'amuse. Je lui en fais part, et nous rions. Elle me propose de tremper un de mes churros dans son chocolat liquide, il paraît que c'est ainsi que ça se mange. En plus du kilo de sucre dans le cornet, c'est vraiment pas raisonnable ! Aussi je m'y précipite, effectivement c'est divin, mais… Comment fait-elle pour tenir le cornet, la coupelle de chocolat, et manger en même temps ? Après l'escargot, c'est l'image de la pieuvre qui me vient, la pauvre…
Nous reprenons chacune dans une direction, pourtant je suis convaincue que je vais la recroiser dans peu de temps. Je jette mon cornet vide dans un sac poubelle errant, et résiste à l'envie de me lécher les doigts, je dégaine un rince-doigts. Un camelot se lance dans une démonstration de son produit miracle primé sur tous les salons, et que même que quand on l'a utilisé ben on se demande comment l'humanité a pu évoluer sans. Ca tombe bien, après mes churros je suis d'humeur joueuse. Il hèle le chaland, et bientôt un attroupement se forme. La sagesse me recommande de ne pas me placer juste devant, la suite me le confirmera, un homme moins prudent en fera les frais. Le camelot s'agite, parle, raconte, explique, manipule, son spectacle est si rodé qu'il en perd sa crédibilité, j'adore. Clic, clac, emballé, pesé. Le gars regarde penaud son achat qu'il a l'air de déjà regretter…
Je prends le large avec le reste de la foule, et me laisse tenter par un étal de bijoux nacrés, une parure bague, bracelet, collier, j'ai hésité entre les dauphins et les chats, les félins ont remporté le match.
Nouvelle odeur, cannelle et autres épices. Les vins chauds. J'adore, mais n'en veux pas, un simple gobelet, et la soirée raccourcit trop. "Vous en voulez un verre ?", entends-je. Je refuse poliment, et réalise qu'il n'y a personne devant moi. Je tourne la tête. Elle me sourit. Elle tient un gobelet à moitié entamé. "Alors juste une gorgée, juste pour le goût ?" Je finis par me laisser faire. Une forme de complicité point entre nous. Je lui rends le gobelet, et nous marchons désormais côte à côte, sans parler. Elle sirote son vin chaud, je prolonge le goût de ma lampée. La savoir à côté de moi me fait plaisir, mais j'ignore pourquoi. Nous essayons de ne pas nous faire séparer par la foule si peu disciplinée…
"Ca tangue un peu, c'est sans doute la fatigue, ou le fait d'arpenter les allées…", me sort-elle soudain. "Ou l'effet du vin chaud", réponds-je sans réfléchir. Puis prise d'une crainte de l'avoir vexée je rajoute: "C'est en tout cas ce que ça aurait entraîné sur moi, c'est pour ça que j'ai fait la difficile, juste avant !" Ouf, je me suis rattrapée. Elle me regarde, son air est bizarre, entre ses nattes qui clignotent toujours de haut en bas. Pas un regard inquiétant, non, au contraire, il me semble juste un peu fou. "Vous ne devez faire la difficile que dans le choix de vos compagnons !", me sort-elle très solennellement, ce qui me déroute un peu. "Heu… Non, je n'ai personne en ce moment…" Là je m'attendais à ce qu'elle fasse la moue, j'ai cru détecter un léger sourire. Le vin chaud la gagne. »


Mylène (MyLzz59)
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