Une leçon de classe [Alyx 08]

« Le tableau de bord s'illumine, et la voix synthétique du GPS s'échappant de l'autoradio nous demande notre nouvelle destination. Après encore quelques contacts labiaux épars, nous reprenons, Alyx et moi, une position plus appropriée à un trajet en voiture.

"Avez-vous une préférence quant à la thématique de cette soirée, ma tendre Jeane ? Seriez-vous plutôt tentée par une projection cinématographique, une représentation théâtrale, un opéra, une opérette, un concert peut-être ? Ou puis-je vous suggérer une exposition en intérieur, voire à ciel ouvert, d'inspiration classique ou contemporaine ?" Je retrouve là sa façon de parler. Elle me lirait une page de l'annuaire, qu'elle serait capable de ne pas employer les mêmes mots que moi.

J'aime cette voix difficile à situer, assez haute pour un homme, pas vraiment une voix de femme, et ses intonations davantage masculines, troublantes. Oui, moi elles me troublent. Elle me trouble. J'ai beau savoir qu'Alyx est une femme, ce que je ressens pour elle est bien le sentiment que j'aurais si elle était un homme. Sans doute que si elle avait été moins ambiguë, équivoque, je n'en serais pas là.

Je me sens observée. Ah oui, elle attend ma réponse ! Heu… "J'écoutais votre voix", dis-je. "Me railleriez-vous, Jeane ?", me répond-elle en souriant. Je souris également: "Pas du tout, c'est plutôt que je tente d'apprivoiser votre façon de parler. Si nous consacrions cette soirée à me permettre de vous découvrir ?" "Dîtes-moi ?" "Ben oui, ma p'tite vie n'a rien de folichon, vous en aurez vite fait le tour, mais vous vous me fascinez, mystérieux Alyx." je réalise qu'avec la liaison, "mystérieux Alyx" et "mystérieuse Alyx" se prononcent pareil, j'en frissonne.

Elle, semble amusée: "Aucune vie n'est 'petite', ma chère Jeane. Chacune nonobstant ses aléas et ses prises de directions choisies ou subies, heureux ou malheureux, se valorise uniquement à hauteur de ce qu'il lui importe de lui apporter, indépendamment de toute naissance ou fortune." J'vais la garder pour les grandes occasions, celle-là ! Tiens, mon sourire niais est de retour…

"Alyx…" "Délicate Jeane ?" Son regard et ses paroles ne cessent de me faire vaciller. Je réalise à l'affichage du GPS que le moteur tourne depuis tout à l'heure. Je me concentre: "J'allais vous suggérer de diviser la soirée en deux, la première partie où je vous laisse décider de l'activité, et la seconde à ma main." "A votre main, Jeane ? Je me réjouis a priori de votre prise d'initiative, cependant m'en direz-vous davantage, ou m'en garderez-vous la surprise jusques à son heure ?"

"Disons que j'ai une idée qui m'aiderait à mieux vous connaître, Alyx, surtout si nos destins se retrouvent amenés à se rejoindre…" Elle m'ouvre des yeux intéressés: "Auriez-vous donc tant progressé dans votre acceptation intérieure de la relation naissante entre nous, chère Jeane ?" Je rougis, je la sais engluée, la Jeannine…


Je tente: "Il y a trois jours, un aléa m'a placée à la table d'un prince charmant qui, par son invitation m'a trouvé de la valeur. En acceptant cette invitation, j'ignorais quelle nouvelle direction allait prendre mon existence, mais de d'abord 'subie', non à cause de vous mais de moi, cette nouvelle direction me semble de plus en plus choisie par moi, et j'avoue en être heureuse, malgré mes doutes."

Je ne suis pas mécontente de ma tirade, à un détail près, que ne manque pas de relever Alyx: "Aurais-je à votre goût fait montre de trop d'entreprise, Jeane, explicitez-moi à quelle occasion mon comportement à votre égard vous a semblé inconvenant, afin que je prenne conscience de mes manquements et ne les réitère surtout pas…" Heu… Nan ! Je me lance dans une explication destinée à lui faire comprendre que j'ai peut-être mal réemployé son terme 'subi' dans mon propos, pour désigner que mon attirance à son égard a d'entrée dépassé mon entendement. Elle me remercie.

Néanmoins j'ai l'impression d'avoir un peu plombé l'atmosphère. Pourtant Alyx ne semble pas m'en vouloir, au contraire elle me rappelle qu'il m'est inutile de me précipiter au-delà de ce que je me sens prête à accepter. Une leçon de classe, qu'elle prend là, la Jeannine !

Et puis, elle me confirme implicitement ses sentiments pour moi, ça me soulage et me fait du bien, j'en ai déjà bien assez à gérer avec Jeane…

Le GPS se manifeste à nouveau, nous rappelant que le coupé n'a toujours pas bougé de devant mon immeuble. Pour une fois, il tombe bien, celui-là. J'essaie de me recentrer, je suis confortablement assise dans le carrosse de mon prince charmant, et je m'apprête à vivre ma seconde soirée inoubliable, voilà mon cap. Ne pas me laisser envahir par ce "fichu détail" qu'est le sexe de mon prince charmant, pour ne surtout pas passer à côté de l'essentiel !

"Ayez au moins l'amabilité de me fournir quelques pistes quant à votre partie de planning, que je ne commette pas de redondance…" Je lâche: "Alors ne prévoyez pas de repas, nous le prendrons dans mon monde." Je l'amuse: "Vous prenez un plaisir non dissimulé à souligner la différence de nos conditions, ma chère Jeane, ne la percevez aucunement comme un obstacle, je vous en supplie." »

-MyLzz59-