Sable [Ch.07]

« Où en étais-je, avant cet épisode ? Ah oui, choisir une tenue. J'opte finalement pour un chemisier et une jupe portefeuille. J'accessoirise quelque peu, mais je ne m'embarrasse pas d'un sac. Mes papiers, de quoi payer, et mon téléphone grâce auquel je prendrai des notes, car j'espère bien me montrer plus efficace ce soir. De toute manière, à moins qu'elle ne vienne pas, ce ne peut être pire que tout à l'heure. Je ressens le besoin de chaussures à talons. J'ai envie de lui plaire, même si je sais que je n'ai rien à espérer. Je n'ai rien à perdre non plus. Je dois juste ne pas me montrer trop entreprenante, pour ne pas l'effrayer. Je m'étonne d'un tel changement dans mon attitude. Un flash me ramène à mes années d'étudiante, je me remémore avoir pratiqué de telles séances d'amour solitaire, avant de délicats examens, avec le même succès quant à mon apaisement, lesquelles m'avaient permis de réussir les épreuves.

Je regarde ma montre, timing correct. Je n'aurai nul besoin de me hâter. Je sors confiante. Le ciel est encore fort clair, le soleil pas pressé de se coucher. Moi non plus. Je referme la porte de la chambre, et me dirige vers les escaliers. Pour une fois, l'ascenseur ne me dit rien. Je saute d'une marche à l'autre, mes seins suivent le mouvement, sous mon chemisier. Je m'amuse. Sur mon trajet je note la présence de chants d'oiseaux. Est-ce moi qui y prête davantage attention ? Je ne saurais dire. Peu importe. Au bout de mes pas solitaires je me dis qu'il y aura ma fée. En même temps je ne veux presser le pas afin de ne pas finir en sueur, et j'ai envie d'y être déjà. Amoureuse, je vous dis. Au lieu de rencontre, personne. Ma montre me rassure, je suis fort en avance, elle va arriver. Elle aura probablement eu les mêmes doutes que moi quant à ce point de ralliement, et aura conclu la même chose. C'est évident. Je reste tranquille, je n'ai qu'à attendre. Elle passera par ici. Je le sais. Je le sens. En tout cas, j'y crois.

Un gars m'aborde: "Vous êtes seule ?" Pff… Si au moins ça ne puait pas le cliché. S'il avait fait preuve d'un peu de subtilité. D'un peu d'imagination. Même pas envie de prendre le moindre gant. "Vous n'êtes pas la personne que j'attends." Surpris, il hésite et lance: "Je peux peut-être le remplacer avantageusement, si vous voyez… Me fatigue, lui. "Ne rêvez pas, vous ne la remplacerez jamais, même après une vaginoplastie." Il me regarde: "C'est quoi ça ?" Ace: "Remplacement chirurgical de la bite par une chatte." Il se tire en me traitant de "gouine". Ca ne m'insulte pas, c'est ce que je suis. Après coup, enfin coup… pââssons, cet épisode, je trouve ça plutôt drôle, voire flatteur. S'il a pris la peine de m'aborder, c'est qu'il m'a trouvée attractive, ou qu'il est en grand manque. Je ris seule. Même en son absence, l'effet bénéfique de ma fée agit toujours sur moi.

Je regarde machinalement l'heure, sans inquiétude. Je me mets tranquillement à émettre des pronostics sur la tenue qu'elle aura choisie. Sage ? Décontractée ? Stricte ? Aguichante ? Non, ça, je n'y crois pas. Je ne l'imagine pas oser. Des idées de tenues professionnelles s'insèrent parmi les autres. En fait, je ne sais rien d'elle, de son existence. Quel métier exerce-t-elle ? En exerce-t-elle un, déjà ? Bonne fée, ce n'est pas un métier…

Elle a gardé une âme d'enfant. Travaille-t-elle avec des enfants ? Genre éducatrice spécialisée. Ou maîtresse. Non, pas maîtresse. Ou alors avec les tout jeunes. Et si elle était vendeuse dans un magasin de jouets, pour enfants, et qu'elle s'occupait d'organiser les anniversaires ? Quelque chose comme ça, ça me semble plausible… Finalement, bonne fée, c'est peut-être son métier. Et pourquoi m'a-t-elle choisie ? Certes je la matais éhontément. Elle aurait pu se contenter de me faire une réflexion, ou un scandale, ou me mettre en honteuse posture, voire me gifler puis s'en retourner. Mais sa démarche était autrement amicale. Comme si me gronder n'avait été qu'un prétexte à son approche. Quelle approche ? Cette fille est hétérotte, j'en suis convaincue. Elle ne m'a parlé que d'amitié, pas particulière hélas. La seule chose qu'elle n'ait affolée en moi est bien mon dar. Mais marche-t-il sur les fées ? Est-ce seulement mentionné dans la notice ? Je réalise où ma réflexion m'a rendue, et préfère en sourire. Manquerait plus que je me mette à scruter aussi le ciel, au cas où elle arriverait en volant…

Mais le fait est qu'elle n'arrive toujours pas, et à mesure que l'heure avance réapparaît mon inquiétude. Viendra-t-elle ? On a touché mon omoplate. Je sursaute en émettant un cri. Elle s'en amuse. D'où est-elle sortie ? A l'instant il n'y avait personne. Comme si elle s'était téléportée. C'est dingue. C'est… impossible. Cette fille n'est pas humaine. "Où étiez-vous perdue ? Vous ne m'avez même pas vue arriver…" Son sourire me désarçonne. Je ne sais que répondre. Je préfère lui tendre les mains, qu'elle saisit promptement mais délicatement. Nous restons immobiles quelques instants, les yeux dans les yeux, hors du temps. Je serais volontiers restée ainsi, mais elle me sort de cet instant magique par un baiser sur ma joue. "Etes-vous souvent perdue ainsi ?" J'ai envie de répondre que c'est elle qui me perd, et que pour elle je me laisserais perdre davantage. J'ai conscience de ne pas pouvoir. De ne pas devoir. Que ma responsabilité est de la protéger de moi-même. De mes bas instincts.

Je me rends compte que sa tenue risque de les mettre à rude épreuve, mes bas instincts. Chemise unie boutonnée à moitié, jupe plissée, et socquettes. Rhââ… Je tente de la complimenter sur sa tenue, masquant tant bien que mal, voire plutôt mal, mon trouble. "J'espérais que vous aimeriez…" Toi si tu continues, je finirai par ne plus répondre de rien ! Elle me retourne le compliment, auquel je n'accorde guère d'attention. "On y va ?", demande-t-elle. »

-MyLzz59-