Sable [Ch.08]

« Nous nous mettons en route. Elle se dandine, mains dans le dos. "Je suis heureuse que vous soyez venue. Sincèrement, j'ai eu un petit doute." Ca va pas, non ? Je n'allais pas laisser filer ma fée sans réagir ! "Je suis heureuse aussi. Vous êtes LA surprise de mes vacances." Je l'ai faite rire.

Nous arrivons vers le centre bourg. Elle saisit ma main. Je la laisse faire, néanmoins gênée. A croire qu'elle est la seule à ne pas interpréter ce geste. De toute manière, avec son uniforme façon écolière, jamais elle ne passera inaperçue. Je décide d'assumer.

Elle semble partie pour lécher toutes les boutiques. Je jouerais bien le rôle d'une boutique, me dis-je, sourire pincé. Certes c'est une expression… Elle me demande mon avis sur telle ou telle chose en vitrine. Elle m'amuse. Je me sens détendue, à ses côtés. Heureuse. Fière. Elle nous a à un moment arrêtées en plein milieu du trottoir, pour s'extasier sur une fleur qui a poussé dans une craquelure du bitume. Je n'y parierais pas ma tête, mais il me semble qu'elle lui a parlé, à la fleur.

Premier restaurant. Nous étudions le menu affiché. Elle me demande si quelque chose me plaît. Je me retiens de lui rétorquer "Toi". Intérieurement je bougonne de l'absence de réaction de mon dar. Elle repère la ligne d'un dessert promettant une orgie de chocolat fondu. Je me recule et cache mon visage dans mes mains, prise d'un fou-rire impossible à contenir. Elle me regarde en souriant, attendant je me doute l'explication de la chose si amusante en apparence. Comment vais-je m'en sortir ? Comment lui faire part de l'image qui m'a traversé l'esprit, un fantasme à base de pâte à tartiner ? Le seul moyen d'arrêter un fou-rire est justement de ne pas chercher à le contenir. Je ris de bon cœur, à pleines larmes, car ma fée me suit. Nous donnons l'air de deux folles.

Nous finissons par nous calmer, hélas elle me sort: "Si je m'étais doutée de votre réaction, je vous aurais plutôt proposé la tarte abricots-chantilly…" Je la dévisage. Le pire est qu'elle semble ne pas le faire intentionnellement. Le fou-rire me reprend de plus belle, et nous repartons pour d'autres longues minutes. Nous décidons implicitement de fuir ce restaurant, pourtant coupable de rien.

Nos pas nous conduisent à une petite place arborée, où sont scellés quelques bancs. Je m'allonge sur l'un d'eux. Je respire profondément. Elle s'installe sur le bord. Son visage me surplombe. "Quel début de soirée, dîtes-moi ! Est-ce toujours ainsi, avec vous ?" Je me sens rougir. J'aimerais qu'elle devine, et qu'elle me le fasse comprendre, mais je redoute ce moment que je conçois comme signifiant la fin de cette amitié. J'ai peur de souffrir à ne pouvoir m'en relever. Et de faire souffrir cette si innocente fille, ma fée. Mon visage redevient subitement sérieux. Le sien suit. Elle fronce les sourcils, inquiète. Ma main s'élève jusqu'à sa joue. "Merci d'exister." Elle serre ma main d'un geste tendre. "Préférez-vous que nous passions la soirée sur ce banc, ou que nous nous remettions en quête d'un restaurant ?" Je réponds: "Je vous ai promis un restaurant." Elle m'interrompt: "Peu importe. Tout ce que je recherche c'est votre compagnie." Je ne sais que dire. Elle me tient la main, et pourtant quelque chose nous maintient si éloignées. Son innocence est comme un champ de protection qui bloque mon amour. C'en est un supplice, de ne rien pouvoir, de ne rien devoir me permettre. Enfin, je tiens sa main, ou c'est elle qui tient la mienne, c'est toujours ça. Je ne souhaite aucunement d'ailleurs que cette situation bien inconfortable cesse.

Une devanture étrange attire notre attention, et me sort de mes pensées. Un concept de verdure qui nous propose d'avaler un mode de vie entre futuriste, bio, végétarien, ai-je cru comprendre. Soja, salades, crudités sous toutes leurs déclinaisons. Nous nous regardons, manifestement pas plus convaincues l'une que l'autre. Je ne puis m'empêcher: "Etes-vous herbivore ?" Elle sourit: "Croyez-vous qu'ils servent dans des assiettes, ou faut-il le brouter directement ?" Je me dis que j'ai bien fait de me "détendre" avant ce rendez-vous…

D'un extrême à l'autre, notre prochain candidat est un spécialiste des cochonneries-frites. Ca semble la tenter, ça ne me déplaît pas non plus, excepté que l'on doit pouvoir trouver plus adapté à un premier rendez-vous, même sans espoir. Un lieu où il est plus approprié de commander une bouteille de vin même rosé qu'une bière pression. C'est un centre-bourg, nous allons nous organiser avec les moyens du bord. D'ailleurs nous tombons d'accord toutes deux pour la pizzeria. Un serveur nous accueille sans nous forcer la main. A-t-il remarqué que nous nous la tenions ? Il lui accompagne la chaise, me fait de même, et …allume la bougie sur la table, une table à deux places dans un recoin assez intime de la salle, qu'il nous a proposée de lui-même. N'est-ce point romantique ? Ma fée est ravie. Je reste en mode surveillance, néanmoins. »

-MyLzz59-