Mirana [Ch.05]

Epilogue:

« Il est une plaisanterie selon laquelle ce qu'amène une lesbienne à son second rendez-vous amoureux serait la camionnette avec ses meubles… Effectivement, entre Mirana et moi le coup de foudre a été immédiat, et très rapidement il nous est apparu comme une évidence que nous n'avions aucune raison valable de différer notre emménagement commun. Notre début de vie en couple, loin de se présenter comme le véritable test de compatibilité d'humeur, s'est magnifiquement passé. Il faut dire que Mirana est drôle et enjouée, tous les tracas glissent sur elle, et elle s'est forgé cette facilité communicative de tout tourner à la légère. Sans doute est-ce son moyen de défense face à ce qu'elle a dû subir par le passé. Elle n'en parle jamais, c'est l'une de ses deux seules pudeurs, avec son appareil génital, la partie de sa nudité qu'elle n'affiche pas.

Son sexe a constitué l'unique difficulté entre nous. J'aurais plus facilement supposé que c'était moi qui aurais pu "coincer", malgré mes sentiments, du fait que Mirana soit une fille, et qu'elle le paraisse indéniablement. Pourtant non, à mon propre étonnement je l'ai assumé facilement… tout comme j'assume de me faire qualifier de gouine, ce que je ne considère toujours pas être !

C'est aussi ce qui me fait apprécier la "particularité" de Mirana, et l'usage que je peux lui suggérer d'en faire à mon égard, alors qu'elle, justement, n'éprouve que du dégoût pour cette partie encore erronée de son corps. Plusieurs fois, les premiers temps, elle s'est effondrée dans mes bras en me suppliant "dis-moi que tu ne me vois pas comme un homme, j'en ai besoin", et j'ai dû déployer des trésors d'amour et de persuasion pour lui faire comprendre que je ne la réduisais pas à son membre, que je pouvais à la fois aimer l'accueillir en moi, tout comme les couples de filles qui s'achètent un harnais, et la désirer en tant que femme tant pour sa personnalité que son physique, malgré justement son membre.

Mirana se constitue une cagnotte, sur un compte dédié, destinée à financer les actes liés à sa transformation, qu'elle alimente au gré de ses moyens. Il m'a paru "normal" de lui apporter ma contribution, ce qui l'a étonnée. Mais pour moi il est clair que Mirana est la femme de ma vie, et peu m'importe ce qu'elle a entre les jambes, cela ne conditionne en rien mes sentiments pour elle. Avec mon aide, elle dispose déjà de la somme suffisante pour couvrir son opération, et elle sait que le jour où elle l'entreprendra je serai à ses côtés. Cette opération représente beaucoup pour Mirana, se réveiller avec un néovagin sera pour elle une "délivrance", une "éclosion", une "naissance", selon ses termes, l'accomplissement d'un long combat pour mettre son corps en harmonie avec celle qu'elle a toujours été, "être enfin vraiment femme". Elle m'a d'ailleurs expliqué avec une quantité de détails le principe de cette opération qu'elle a dû vivre maintes fois en pensées. Je ne connaissais pas son monde, j'ignorais qu'il contenait tant de solitude et de souffrance, j'étais à mille lieues de me douter, même. Et pourtant Mirana affiche un sourire quasiment inébranlable…

Un soir, alors qu'elle me caressait les cheveux pendant que je lui faisais ce qu'il est convenu d'appeler une gâterie, s'est-elle soudain assombrie. J'ai voulu me redresser pour lui demander ce qui n'allait pas, mais elle m'en a délicatement empêchée, elle souhaitait que je garde la pose. Ses mains sur mes joues, elle m'a annoncé dans un long monologue que même si son but ultime restait de se faire réassigner et qu'elle le ferait forcément un jour car elle ne saurait vivre toute sa vie dans un corps en contradiction avec elle-même, elle sentait bien que je n'étais pas prête à vivre son changement, et que pour cette raison elle préférait se résoudre à le différer pour me laisser le temps de m'y préparer, afin que son accomplissement ne me soit pas une source de tristesse… Oh Mirana, si tu savais comme tu m'as touchée, ce soir-là ! Mes larmes ont coulé toutes seules, et je n'ai pu que me jeter sur sa bouche, devant une si grande preuve d'amour…

C'est moi qui ai incité Mirana à donner un mini tour de chant régulier dans le cabaret de la marquise. Mirana a une si magnifique voix, et elle adore chanter. Je suis allée voir la marquise "en cachette" de Mirana, pour évaluer la faisabilité de la chose avant de le lui suggérer. Je n'ai pas reconnu le gars, sans son accoutrement de scène, heureusement il est venu vers moi, il avait deviné… Il a de suite été enthousiaste, et à sa façon de me parler de Mirana j'ai bien senti qu'il l'aime comme …une mère. Mirana, au contraire, s'est montrée au départ réticente, malgré son envie de le faire. Car elle craignait, en se produisant "officiellement" en ce cabaret, qu'on la prît pour un transformiste. Aussi il fut décidé que la marquise ferait un speech de présentation, précisant bien que Mirana est une femme. Depuis, tous les mardi, le spectacle est raccourci pour constituer une première partie, à la suite de laquelle Mirana interprète en "vedette" six chansons seule, ainsi que le titre du final, un titre rythmé sur lequel reviennent danser les transformistes, comme des "Miranettes". C'est à chaque fois un triomphe, et qui rapporte à Mirana, sous forme de vacations, de quoi mettre du beurre dans les épinards.

Nous sommes fin novembre, cela fait plusieurs semaines que je cogite sur la meilleure façon de présenter Mirana à mes parents. Car j'ai quand même deux choses "spéciales" à leur faire passer, que Mirana soit une femme, et qu'elle ne l'ait pas toujours été, physiquement s'entend. Pas une peccadille, quoi… Mes parents savent que je "suis avec quelqu'un", ils l'ont lu sur mon visage, je ne l'ai pas infirmé, mais n'ai donné aucune précision. J'ai peur, car j'aimerais vraiment qu'ils acceptent Mirana. C'est pourquoi j'insiste par petites touches sur le fait que je suis heureuse, c'est là la chose principale, déjà à mes yeux, Mirana a fait de moi une femme heureuse. Et je ne laisserai personne porter atteinte à mon bonheur, même pas mes parents. Mais j'ai besoin qu'ils acceptent ma nouvelle vie, car ils font aussi partie de mon bonheur, et je souffrirais d'être déchirée.

Pour l'instant, ce qui me semble le plus "jouable" serait, puisque cette année ce sont mes parents qui "montent à la ville" pour me voir, qu'ils viennent le jour du concert. C'est un projet que Mirana a à coeur, celui de donner un concert, un peu avant Noël, dans cette église où elle m'avait faite venir l'an dernier, au prêtre si tolérant. Elle souhaiterait chanter des airs sacrés, pour récolter de quoi offrir des jouets pour les enfants défavorisés de la paroisse, une façon pour elle de donner un peu en retour aussi… J'inviterais mes parents à assister au concert, car ils aiment écouter de belles voix, celle de Mirana ne peut donc que les envoûter. Puis, à la sortie de l’église, alors qu’ils l’auront ovationnée et qu’ils ne tariront d’éloges, comment ce pourrait ne pas être le cas, je leur proposerais de la rencontrer. Ils me demanderaient sans doute d’où je la connais, et je leur répondrais le plus simplement du monde que la personne qui me rend heureuse au quotidien c’est elle. Ils seront certainement plus enclins à l’accepter ainsi. Enfin, je l’espère… Peut-être même devineraient-ils, s’ils me voyaient la dévorer des yeux pendant le concert, ce serait eux qui engageraient la conversation et je n’aurais pas à me lancer.

J’appréhende néanmoins ce moment clé de mon existence. Je "joue gros" car j’ignore réellement quelle sera la réaction de mes parents. Je sais bien que Mirana ne m’abandonnera pas, qu’elle sera là pour ramasser les éventuels morceaux, mais j’espère que l’issue sera plus heureuse que cela. A part quelque préjugé je ne vois aucune raison pour que Mirana et mes parents ne s’entendent pas…

Ce serait pour nous tous un magnifique cadeau, pour Noël, pour le premier anniversaire de notre rencontre, que mes parents acceptent mon couple avec Mirana. Et ça ouvrirait la porte à d’autres projets, nettement plus "délicats" sinon, comme celui dont elle m’a fait part très récemment, et qui m’a bouleversée: Mirana souhaiterait que nous fassions un enfant, qui serait réellement biologiquement le nôtre à toutes deux, vu qu’elle a toujours ses organes reproducteurs mâles. J’arrêterais la pilule, elle m’inséminerait "naturellement", reconnaîtrait l’enfant que nous aurons dès sa naissance en tant que …père, et attendrait qu’il (ou elle) atteigne au moins un an avant de revenir à son désir de se faire opérer… Ainsi notre enfant grandirait entouré d’amour dans une famille quasiment normale, et nous saurions que nous pourrions le confier à ses grands-parents les quelques semaines nécessaires à notre voyage en Thaïlande, pour l’opération.

Il fait déjà nuit, en novembre, presque décembre, les jours sont courts. En relevant mon col je regarde machinalement ce ciel étoilé. J’aperçois un objet qui n’est pas un avion le traverser. "Une étoile passe, et je fais un vœu", comme chantait Thierry Le Luron. J’aimerais vraiment que le nôtre se réalise. J’accélère le pas, j’ai hâte de retrouver ma Mirana…»

Fin …pour de vrai, cette fois !

-MyLzz59-