Mylène écrit (http://mylene-ecrit.blogspot.fr)
 ( MàJ: 02/01/2014 )


Ceci est un Blog par Mylène (MyLzz59)

15 Août 2012 [Ch.07]



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ce Chapitre (00:06:43)


« J'entre dans l'église et verrouille la lourde porte derrière moi. Des pétales et des cœurs en papier jonchent le sol. Quelques programmes traînent sur les bancs, et des chaises sont en désordre, vers le chœur. J'ai failli tremper mes doigts mais me suis ressaisie, il vaut mieux pour les prochains fidèles que je me signe "à sec". Je m'agenouille et m'exécute. Puis, comme je le faisais jusqu'alors, j'ai réorganisé le mobilier. Replacé les chaises, ramassé les programmes, rangé les différents Livres, j'ai même empoigné le balai pour regrouper les feuilles de papier rose et blanc ainsi qu'un peu de riz, près de la corbeille, vers l'entrée. J'ai regardé le balai, avec ses longues brindilles, en le reposant. Un "balai de sorcière", ai-je pensé, ce qui m'a faite sourire… Je détache avec un peu de difficulté liée à l'aspect décharné de mes doigts les bouquets de fleurs fixés au bout des bancs, pour les regrouper dans les quelques vases, devant l'autel. J'aurais aimé pouvoir les sentir, humer leur parfum, ça ne m'est hélas plus possible. Je suis fière de moi, en me retournant, l'église est prête pour la Messe du dimanche, "comme avant" ! A un détail près, je n'ai osé bouger le marque-page de la Bible, sur l'autel, pour ne pas la salir. J'ai fini, je rejoins "ma" place, au premier rang, tout à gauche, et pose le cadre à celle d'Anne-Marie. Mains jointes, mes prières vont à Anne-Marie, ainsi qu'à Miss sourire, mes deux absentes à-côté de moi.

Le grincement de la porte dérobée latérale m'interrompt. Le prêtre entre, et marque une pause en constatant qu'il n'a pas besoin de retrousser ses manches pour préparer l'église. "Il y a quelqu'un ?", demande-t-il. Je ne réagis pas. "Il y a quelqu'un ?", redit-il en scrutant en tous sens. Il m'aperçoit, s'approche. Il reconnaît la place que j'occupe. "Qui est là ? Qui êtes-vous ?" Sa voix est moins assurée. "Bonsoir, mon Père", dis-je en levant la tête vers lui. Il recule jusqu'à l'autel, empoigne le micro sur pied, s'aperçoit de son erreur, attrape la croix posée juste à proximité, la présente vers moi en tremblant. Si je m'attendais… "Posez donc ce crucifix, mon Père, venez plutôt vous asseoir près de moi." Il baisse ses bras, lentement, me fixe, s'interroge. "N'ayez pas peur de moi, mon Père, je n'ai aucune mauvaise intention, bien au contraire…" Il pose le crucifix sur le sol, sans me lâcher du regard. "Q-qui, ou qu'êtes-vous ?", prononce-t-il. "Ce que je suis, je n'en sais rien. Qui j'étais ? J'espérais que vous m'auriez remise, mon Père. Je vous avais pourtant promis de passer vous voir en privé…" Il ouvre des yeux ronds: "Clothilde ?"

Je lui souris: "Oui, enfin ce qu'il en reste." "Clothilde", répète-t-il. J'acquiesce en silence. Il tourne la tête: "Est-ce toi qui… ?" "Oui, une dernière fois, comme 'avant'." Il attrape un prie-Dieu, le place devant moi, s'y agenouille. Je fais de même sur mon banc. "Je te croyais morte…" Il me fixe, comprend que quelque chose cloche vraiment. "Je le suis, mon Père." "Mais, comment ???" "Je l'ignore, Ses voies sont parfois vraiment impénétrables." Il plonge son visage dans ses mains. Jamais je n'aurais supposé le voir pleurer. "J'ai merdé mercredi, Clothilde, j'ai vraiment merdé…" Je lève ma main, l'amène au-dessus de sa tête, mais comme tout à l'heure j'ai renoncé. A défaut, je réponds à sa question non formulée: "Pardonner est sans doute la chose la plus difficile qui soit, mais c'est l'un des fondements de notre religion."

Il relève le nez, essuie par fierté masculine ses larmes dans sa manche. Tant de non-dits s'échangent dans nos regards qui se croisent. "Mon Père…" "Oui Clothilde ?" "Bénissez-moi, s'il-vous-plaît, j'en ai vraiment besoin." J'approche mon visage. Sa main tremblante se pose sur mon front, son ongle s'enfonce dans ma chair calcinée alors qu'il trace de son pouce les deux bâtons d'une croix. "Merci mon Père", dis-je. "Non, merci à toi, Clothilde", me répond-il. Je lui souris, j'ai eu l'espace d'un instant l'impression d'exister encore pour quelqu'un.

Du soleil pénètre par l'un des vitraux. Je regarde cette lumière blanche malgré la teinte des verres du vitrail. "Mon Père", dis-je, "je crois que le moment est venu de nous quitter…" J'attrape le cadre posé sur le banc, le fixe une dernière fois, puis le tends au prêtre. "Je n'en aurai plus l'usage, mais je partirais plus sereine si je savais qu'au moins une personne sur cette Terre se souvenait à quel point Anne-Marie et Miss sourire étaient des êtres formidables. J'ose vous demander cela comme un dernier service, mon Père." Je le sens vraiment ému en acceptant le cadre. "Va, Clothilde, et sache que je vous dédierai la Messe de demain."

Je vais me placer devant l'autel, dans cette lumière blanche. "Au revoir mon Père. Au revoir, car je sais qu'on se reverra un jour, mais le plus tard possible, promettez-le-moi !" Je regarde une dernière fois son sourire, en m'agenouillant dans le halo, puis lève les yeux. Tout en haut, en lieu et place du vitrail, une ouverture sur un espace d'un blanc immaculé. Deux personnes me sourient. Deux personnes familières, portant les mêmes vêtements que sur la photo, mais blancs eux aussi. Anne-Marie, et dans ses bras Miss sourire, mes femmes. Je baisse la tête, j'ai l'impression de …monter ! Je me vois, de nouveau intacte, vêtue de blanc, légèrement transparente, et à travers moi ce corps putréfié choir au sol, désormais vraiment sans vie. Je vois aussi le prêtre s'avancer lentement vers ce corps, apparemment il ne me voit pas monter. A travers une sorte de brume j'entends des voix, tandis que je monte lentement. Elles crient au prêtre, lui demandent si ça va. Je l'entends répondre "Clothilde est partie vers un monde meilleur", et l'image "d'en bas" disparaît dans la lumière blanche. Je regarde de nouveau vers le haut, vers mes femmes qui me sourient, et que j'ai hâte de serrer désormais dans mes bras. Tiens, mes larmes coulent…
»

Fin


-MyLzz59-

4 commentaires:

Stéphane a dit…

Oui, ça change!!!!
Poignant....
Fais gaffe de ne pas te faire piquer l'idée... Je vois très bien ton histoire mise à l'écran....

Bisou Miss!

Mylène (MyLzz59) a dit…

Merci d'avoir apprécié cette histoire-ci, Taz,
tu sais combien elle me tient à cœur..
-MyLzz59-

Véronique a dit…

Elle ne pouvait pas partir sans revoir le prêtre...
J'ai pleuré tout le dernier chapitre et les dernières larmes furent un soulagement.

Mylène (MyLzz59) a dit…

Un Grand Merci à toi, Véronique,
car sur cette histoire-ci , de par sa singularité,
"j'ai pleuré" m'apparaît comme un compliment
plus fort que "j'ai aimé", pas tant pour moi,
mais pour le sujet que j'ai souhaité véhiculer..

Sinon, as-tu adhéré à d'autres histoires ?
Je puis te suggérer par exemple "La Pancarte"..

-MyLzz59-