La Pancarte [Pres]

Sans faire long, vu qu'il s'agit d'un texte court (1 seul chapitre), disons que cette histoire aurait pu être imaginée par notre Miss, tant il est flagrant qu'elle m'a servi d'inspiration. La narratrice a d'ailleurs le même âge et le même niveau d'études qu'elle. Temporellement, cette histoire se situe il y a quelques mois à peine, juste avant que notre nouveau gouvernement ne s'attelle à mettre en oeuvre sa proposition 31, l'ouverture du mariage et de l'adoption aux couples de même sexe, et que notre opposition, la Droite réputée "la plus bête du monde", ne se ridiculise même auprès de nos voisins par des manifestations à répétition, ainsi que l'hypocrite dépôt de quelques 5362 amendements farfelus voire insultants, simplement destinés à gripper la machine et se donner l'impression d'exister encore, depuis sa sortie par la petite porte, aux dernières élections. Bref..



La Pancarte [Ch.01]

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ce Chapitre (00:10:32)

« J'ai douze ans, je suis en classe de 5ème, dans un collège plutôt sélect, à quelques kilomètres de là où j'habite. J'ai toujours été une bonne élève, un peu transparente parfois, obéissante, polie, sage, enfin tout ce que vous voulez, sauf travailleuse: j'ai la chance de me situer dans le premier quart de la classe, celui des meilleurs, sans vraiment me fouler pour cela. Et puis, Maminou veille au grain, vu qu'elle rentre plus tôt de son travail que Maman, c'est elle qui me fait réviser, et qui signe en premier les copies que je ramène. Impossible d'y couper, et ce n'est pas faute d'avoir essayé, mais je plie car je déteste voir Maminou triste, quand elle me caresse la tête en m'expliquant qu'à cause d'elle je me dois d'être un exemple pour ma classe. Je ne comprends pas vraiment de quoi elle serait coupable, mais je fais ce qu'il faut pour qu'elle retrouve le sourire. Maman et elle ont assez de soucis de grandes, je ne veux pas leur en rajouter…

Elles non plus n'ont jamais cherché à en rajouter, par exemple à part aux réunions individuelles elles ne sont jamais présentes toutes deux, à tel point que depuis la petite école mes camarades de classe ont toujours cru que c'est Maminou ma "vraie" maman, enfin celle qui m'a portée dans son ventre. Maminou est aussi ma vraie maman, celle qui m'aime autant que Maman, mais je ne suis pas née d'elle. C'est la seule différence pour moi entre elles. Dans les papiers de l'école j'ai aussi un père, parce qu'il en fallait un. Je connais ce monsieur, il est gentil avec moi, mais n'a rien d'un papa, c'est un très bon ami de Maminou et Maman, qui a accepté de faire un câlin à Maman pour que je naisse. Il dit que ni lui ni son copain ne se sentent prêts à être pères, et que le jour où Maminou pourra me reconnaître il lui laissera la place. Je ne sais pas ce que cela veut dire, évidemment que Maminou me reconnaît, ça doit être un truc de grands… Il dit aussi que grâce à lui je serai moins embêtée par les autres enfants, et ça je le comprends. C'est pas simple, les relations avec les autres enfants, il suffit d'un appareil dentaire, d'une paire de lunettes, pour qu'ils fassent des remarques méchantes, alors une seconde maman !

Remarquez, les grands c'est pas vraiment mieux, et même si elles font tout pour me protéger, j'écoute les actualités en cachette de Maminou et Maman, surtout vers la fin de l'année scolaire, quand vient l'époque de nos défilés. J'aime ces moments, même s'il faut marcher beaucoup. Je vois plein de gens comme Maminou et Maman, ou comme mon père et son copain. Il y a de la musique, des fois un peu trop forte, plein de couleurs comme si des arcs-en-ciel s'étaient posés sur nous, et certains se déguisent pour danser sur des chars ou par terre. Les déguisements sont parfois assez déshabillés, mais je trouve ça plutôt rigolo, j'aime bien, ça change. L'an dernier je n'avais pas reconnu le copain de mon père, avec sa robe, sa perruque, et ses chaussures à talons, on a beaucoup ri. Mais aux actualités j'entends comment les gens parlent d'eux. Ils disent des horreurs qui me font pleurer. En plus ce qu'ils disent est complètement faux. Pourquoi est-ce que des gens peuvent être aussi méchants ? Ils disent que Maminou et Maman sont des égoïstes qui ne m'aiment pas, et qui veulent faire mon malheur quand c'est pas des cochonneries devant moi, ou avec moi, ou avec des animaux. Ils sont fous, ces gens, on devrait les enfermer, il existe des hôpitaux pour les fous, pourquoi on les laisse dehors ? Je ne sais pas ce que c'est, d'avoir un papa et une maman comme parents, je ne pense pas passer à côté de quelque chose, mais si c'est pour me retrouver avec des parents comme eux, non merci ! Si c'est ça qu'ils apprennent à leurs enfants, je les plains. Je suis bien mieux avec Maminou et Maman, qui m'aiment toutes les deux, et que j'aime aussi fort l'une que l'autre !

Elles aussi, elles s'aiment très fort, et même si de temps en temps elles se chamaillent, ça ne dure jamais longtemps avant qu'elles ne se rabibochent, un peu comme nous, les enfants, quoi… J'aime les regarder se faire des bisous, quand j'étais toute petite il paraît que je poussais de grands cris en applaudissant, je ne m'en souviens pas, mais ça me fait toujours du bien, les bisous ou les caresses qu'elles se font, un peu comme un soleil au milieu de la maison. Car elles n'ont jamais ces gestes en public, quand des personnes inconnues pourraient les voir. Je ne me rappelle même pas les avoir déjà vues se tenir par la main dehors… J'aime bien, et puis souvent, quand elles ont fini, c'est à moi qu'elles viennent faire des bisous, mais sur mes joues ! La bouche c'est réservé pour mon amoureux. Enfin, quand j'aurai un amoureux, pour l'instant je n'en ai pas.

J'ai un copain, mais c'est pas vraiment un amoureux. J'l'aime bien, on s'échange les goûters, mais on ne se fait pas de bisous. De toute façon il aimerait pas ça, surtout devant ses copains. Il doit pas être fini dans sa tête, le garçon. Ils grandissent moins vite, m'ont dit Maminou et Maman, quand elles m'ont parlé des règles. Pas celles pour faire des traits, celles des filles. Les garçons n'en ont pas, c'est pour ça qu'ils grandissent différemment, qu'ils restent gamins plus longtemps. Chez eux c'est autre chose, ils ont leur oiseau qui devient parfois tout dur, c'est comme ça que mon père a pu planter ma p'tite graine dans Maman, et que je suis née. J'aime bien dire "p'tite graine", même si c'est pas exact, déjà c'est plus facile à dire que les "pesmato-trucs". Mais je sais que j'en sais bien plus sur les "câlins de grands" que mes camarades de classe, ceux que Maminou et Maman se font après avoir attendu que je sois endormie, ceux que peuvent se faire mon père et son copain, et ceux que je ferais plus tard, avec mon copain, quand nous aurons l'âge. Ben oui, apparemment c'est les garçons qui m'intéressent, et je devine que Maminou et Maman préfèrent ça, même si elles disent que ça leur sera égal, tant que je suis heureuse. Je pense que quand je serai grande, j'essaierai quand même une fois ou deux avec une fille, pour vérifier. Et je me protègerai, pour ne pas attraper de maladies ni de bébés…

Ni mon copain ni mes autres camarades de classe ne viennent à la maison, c'est toujours moi qui vais chez eux ou chez elles, en échange Maman fait de délicieux gâteaux que j'amène, ou des bonbons si elle n'a pas le temps. Les seuls enfants qui viennent chez nous, c'est ceux qui ont des parents comme les miens, mais je n'en connais aucun dans mon collège. Parfois Maminou reste discuter avec les adultes, pendant que je joue avec les autres enfants. Comme Maman a un travail qui l'occupe beaucoup de temps, qui l'oblige parfois à partir plusieurs jours, c'est Maminou qui s'occupe le plus de moi. Maman me rapporte presque chaque fois un cadeau, une bricole, quand elle revient de ses voyages, je crois qu'elle cherche à se faire pardonner d'être absente. Je n'ai pas besoin qu'elle se fasse pardonner, même si j'aime recevoir ses cadeaux, je suis encore plus heureuse quand elle peut nous accompagner, à l'équitation, à la piscine, à un parc d'attractions, ou aux défilés qu'elle refuse de louper.

Aux derniers défilés, les grands scandaient des mots comme "égalité" et même "mariage". J'aimerais bien que Maminou et Maman puissent un jour se marier. Je les imagine déjà avec de belles robes toutes en dentelles, des robes de princesses comme mes poupées, mais en vrai ! Maman met toujours des pantalons pour le travail, elle dit que c'est plus pratique, mais je sais qu'elle aime les belles robes. Ils ne savent pas ce qu'ils ratent, à son travail, elle est belle ma Maman. L'autre jour, j'étais en train de jouer avec mes poupées, dans ma chambre, je ne savais pas que j'étais observée. Je jouais à imaginer le mariage: "Maminou, voulez-vous prendre Maman pour épouse"… Je me suis retournée quand j'ai entendu Maman éclater en sanglots dans les bras de Maminou, j'ai couru me serrer contre elles mais je ne sais toujours pas pourquoi ça s'est passé comme ça…

J'ai gardé des affichettes de ces défilés, j'en ai même punaisé dans ma chambre, ils sont très décoratifs ces petits personnages bâtons de toutes les couleurs qui se tiennent la main. Je suis en train d'en découper une, afin de préparer une pancarte que j'entends emmener en classe dès demain lundi, afin de manifester ma colère suite à l'incident de vendredi. En fait, je me suis tordu la cheville au sport, et mon pied a gonflé et me faisait très mal. Le collège a donc envoyé un message sur le téléphone de Maminou, pour qu'elle vienne me récupérer car ils n'ont pas le droit de faire des soins. Mais quand Maminou est arrivée, la préfète remplaçante lui a demandé sa carte d'identité, et refusé de me laisser partir avec elle vu que son nom ne figurait pas sur les papiers de l'école. J'ai eu beau expliquer que Maminou est ma seconde maman, qu'elle pouvait demander au directeur de le lui confirmer, elle n'a rien voulu savoir, et j'ai même écopé de deux heures de colle mercredi prochain pour "manque de respect". J'ai pris le téléphone de Maminou pour appeler Maman, qui a demandé à mon père de venir régler le problème, le ton est vite monté avec lui, et comme la scène s'est déroulée en présence d'autres enfants qui attendaient eux aussi leurs parents, bientôt tout le collège sera au courant. C'est pour ça que je prépare ma pancarte, je vais diffuser l'information moi-même avant eux, afin qu'elle soit exacte.

Maman aussi est très en colère, elle a même pris une demi-journée de congé pour me conduire au collège, et s'expliquer avec le directeur quant au comportement qu'elle juge inqualifiable de la préfète remplaçante, et quant à la démarche à tenir pour éviter que je subisse un préjudice de ce qui s'appelle un "outing". Car taire la situation de ma famille en profitant que j'aie un père, enfin un "géniteur connu" comme ils disent, avait été décidé à la première réunion avec le directeur, à mon arrivée en 6ème, et à sa demande. C'est pour ça que le nom de Maminou ne figure pas dans les papiers.

Maman m'a dit que je risquais de perdre des copains, quand ils sauront. C'est idiot car moi je n'ai pas changé, je suis pareille qu'avant. J'ai répondu que ceux-là, je saurai que c'est pas de vrais copains, je ne répèterai pas le gros mot que j'ai ajouté. C'est très rare quand j'en dis un, de gros mot, je n'aime pas ça, c'est mal, je l'ai dit à cause de la colère.

Pendant que je finis ma pancarte, sur laquelle je découpe et colle le texte "Oui, j'ai deux mamans, et alors ?" d'une autre affichette, Maminou et Maman réfléchissent à une liste de questions que les autres enfants pourraient me poser, pour que je m'entraîne à leur répondre. Moi j'aimerais bien que le directeur intervienne dans les classes, et me permette de raconter mon histoire devant tous les élèves, je trouve que ça serait plus simple. Comme ça serait tellement plus simple, si Maminou et Maman pouvaient se marier… »

-MyLzz59-